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recouvré leur caractère et leur poésie, avec leur exacte durée.

Quelque chose, il est vrai, dans l’ordre du mouvement, reste à souhaiter encore. Les artistes de l’Opéra, ceux de la scène et ceux de l’orchestre, ne semblent pas comprendre ou deviner ce qu’est le rythme en quelque sorte intérieur d’une mesure ou d’une phrase. Ils ne savent pas respirer la période sonore ; ils ne savent pas, d’une impulsion ou d’une retenue à peine sensible, la presser ou la ralentir, lui donner, sans en rompre, en altérer le cours, la souplesse et l’élasticité, le souffle enfin, régulier mais non pas rigoureux, de la vie.

C’est ce souffle, pourtant, dont la musique de Gounod est animée. Elle nous a paru, l’autre soir, plus que jamais vivante et sans doute, après un demi-siècle, vivante pour jamais. Quelques pages de Faust, et nous savons lesquelles, ont vieilli, dites-vous ? Dites plutôt qu’au jour même de leur naissance elles n’étaient déjà plus jeunes. Les autres — et combien d’autres ! — demeurent, non seulement respectées, mais consacrées par le temps.

Elle a cette audition en quelque sorte renouvelée, défini et dégagé pour nous les caractères essentiels, la forme particulière et le sentiment original d’un ouvrage qu’il est permis d’appeler un chef-d’œuvre. Gounod a ceci de commun avec les maîtres véritables, qu’on peut marquer chez lui ce qui n’existait point avant lui, son apport et son don personnel au trésor de tous, fait par lui plus riche et plus glorieux. On le peut tout de suite en écoutant Faust. On le peut dès que les voiles harmoniques du prélude s’entr’ouvrent et laissent passer la première phrase chantante, d’un si noble et si tendre lyrisme, où Gounod déjà s’annonçait et se retrouve encore tout : entier. Elle a cette phrase, elle a la grâce d’abord. Et puis elle possède l’ordre et l’eurythmie. L’analyse en serait facile et donnerait ceci : une période initiale qui se reproduit ou s’imite elle-même ; puis une sorte d’incidente, relative ou subordonnée, se renouvelant à son tour. Pour conclure, un développement, un épanouissement de lumière, de chaleur et de force, et le tout produisant une impression très vive de sentiment, de passion et de vie. Que si l’accompagnement, en batterie de triolets, ne vous suffit plus aujourd’hui, n’allez pas cependant l’accuser trop tôt de platitude et d’indigence. Suivez-en plutôt l’histoire. Il pourrait bien venir de Beethoven : relisez l’adagio dolente de la sonate op. 110 pour piano. Il a soutenu ensuite, dans le Paulus de Mendelssohn, les reproches du prophète à Jérusalem homicide. Gounod le reprend à son tour et sur cette espèce de frisson il aime à poser quelques-unes de ses plus belles cantilènes.