Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 44.djvu/362

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

L’Orient passe pour la terre de tradition par excellence ; il n’en retient pas le monopole. Les campagnes italiennes offrent partout la trace parfois lumineuse d’usages inaugurés il y a des vingtaines, des trentaines de siècles. Il n’est pas difficile de s’assurer, en parcourant le Trasimène, que les méthodes de pêche ont à peine changé depuis le temps de Flaminius. Matteo dell’Isola énumère sept espèces de filets ; les édits pontificaux en font mention ; riverains et insulaires en usent encore à l’heure qu’il est.

Par les calmes après-midi et les nuits sereines, les poissons aiment à se rapprocher du rivage. Ils glissent à travers les roseaux et les joncs et s’endorment voluptueusement au milieu des herbes. Mais dès que le ciel se couvre et que la bise commence à souffler, brochets et anguilles, pressentant la tourmente, gagnent le large et vont se blottir dans les bas-fonds. Les pêcheurs connaissent ces habitudes. On aperçoit devant le village de San Feliziano des rangées de piquets disposés avec symétrie dans l’eau. Elles forment, verticalement à la rive, de véritables palissades dressées à grands frais, semées de pièges. L’anguille qui, à l’approche de l’orage, se met en quête des eaux profondes, suit la ligne des piquets. Une encoche se présente à l’improviste. Inconsciente du danger, l’animal s’engage, sans même y prendre garde, dans un étroit couloir qui aboutit à une trappe fermée par un filet. Ô vous qui entrez, perdez toute espérance… d’en sortir ! On donne à cet engin le nom d’Harelle.

La cacciarella ne comporte que des préparatifs rudimentaires, mais elle exige l’intervention active de l’homme. Son théâtre est le voisinage immédiat de la rive, un endroit peuplé de roseaux dont la profondeur ne dépasse pas soixante-quinze centimètres. Sur la lisière des joncs, on dispose un long réseau de filets hauts d’un mètre, retenus en bas par des grains de plomb, à la surface par des bouchons. On pénètre dans l’enclos sur des barques ; on bat l’eau et les roseaux à l’aide de bâtons. Le poisson, effrayé, va buter dans les filets en essayant de fuir. Le menu fretin passe à travers les mailles ; les brochets et les carpes se font prendre malgré leurs bonds désordonnés. C’est une poursuite pleine d’imprévu.

La pêche au gozzo est moins mouvementée, mais c’est elle qui fait vivre les riverains. On jette un filet à cinq ou six cents mètres du bord ; puis, à l’aide d’un câble, trois hommes amènent