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nous indique l’endroit où le sang des Romains abreuva la terre et teignit les eaux indignées. »

L’inspection des lieux donne raison aux commentateurs et à la tradition. Non seulement la plaine ondulée qui s’étend entre Borghetto, Passignano, les montagnes et le lac répond exactement au texte des auteurs anciens, mais elle est la seule aux environs du Trasimène où deux grandes armées aient pu se livrer bataille.

Reprenons la relation de Tite-Live.

L’armée romaine s’avançait à marches forcées dans la direction de Rome. Elle arriva aux abords du Trasimène à la nuit tombante, trop tard pour que les éclaireurs pussent tenter une reconnaissance. Le lendemain matin, il se trouva qu’un épais brouillard couvrait la plaine, tandis que les hauteurs restaient découvertes. Sans avoir fait battre les environs, le consul se hâte de donner à ses officiers l’ordre de marcher en avant : « A la clarté encore incertaine du jour, disent les Décades, il franchit le défilé, et lorsqu’il a déployé ses bataillons dans la partie de la plaine qui offre le plus d’espace, il n’aperçoit que le gros d’ennemis qui est en face de lui. L’embuscade dressée sur sa tête échappe à ses regards. Lorsque Hannibal voit, selon ses désirs, son ennemi resserré entre le lac et les montagnes et cerné de tous côtés par ses troupes, il donne aux différens corps le signal d’une attaque générale. Au moment où les Carthaginois accourent des hauteurs, le choc est si brusque et si imprévu que les Romains, environnés d’un épais brouillard, n’aperçoivent plus rien, tandis que les ennemis, du haut des collines, se distinguent très bien entre eux et peuvent manœuvrer avec ensemble. C’est par le cri de charge qui retentit sur tous les points plutôt que par la vue des Carthaginois que les Romains reconnaissent qu’ils sont entourés ; et le combat commence sur le front et sur les flancs avant que leur ligne de bataille soit formée, avant qu’ils aient eu le temps de préparer leurs armes et de tirer leurs épées. »

Le plan d’Hannibal avait réussi. Les Romains ne couraient pas le risque d’être battus, comme à la Trebbia, mais d’être anéantis. La légion, qu’un dieu avait inventée, au dire de Végèce, était paralysée sur ce terrain. Seul pourtant, le consul ne perdit pas la tête. Intrépide et calme au milieu du désarroi général, il essaya de rallier ses soldats, de les animer au combat et,