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pendant trois heures, il soutint un combat inégal. Son armure brillante attirait tous les regards et tous les coups ; malgré le rempart vivant que lui faisaient les Romains, il finit par tomber, frappé d’un coup de lance. Sa chute abattit les derniers courages et donna le signal de la déroute. Fébrilement, mais inutilement, les fuyards cherchaient une issue. Les uns se jetaient dans les sentiers de la montagne, les autres dans les eaux du lac, mais rares furent ceux qui échappèrent à la poursuite des vainqueurs.

Un corps de dix mille Romains parvint à franchir le défilé de Passignano. Les soldats gravirent une éminence d’où ils constatèrent l’étendue du désastre. Le lendemain, exténués, mourant de faim, ils se rendirent à Maharbal. Mommsen estime que l’armée de Flaminius laissa quinze mille morts sur le champ de bataille, et un nombre égal de prisonniers aux mains des Carthaginois.

Byron a chanté en strophes magnifiques la plaine fatale à la témérité romaine :

« Ici, j’évoque le souvenir des ruses guerrières du Carthaginois et son adresse à attirer son ennemi entre les montagnes et la mer. Là, succomba le courage réduit au désespoir ; là, des torrens grossis par le sang et devenus rivière, sillonnèrent la plaine brûlante, semée au loin des débris des légions semblables à une forêt abattue par les vents ; et tel fut l’acharnement de ce combat qui ne laisse à l’homme de sensation que pour le carnage, qu’un tremblement de terre ne fut pas remarqué par les combattans ! Personne ne s’aperçut que la nature chancelait sous ses pieds…, tant elle absorbe la rage qui pousse les unes contre les autres les nations en armes. Les lois de la nature étaient suspendues en eux ; ils ne ressentirent pas cette terreur qui règne partout alors que les montagnes tremblent, que les oiseaux, abandonnant leurs nids renversés, plongent au sein des nuages pour y trouver un refuge, que les troupeaux mugissans s’abattent sur la plaine onduleuse et que l’épouvante de l’homme ne trouve pas de voix. »

Comme un malheur ne vient jamais seul, les Romains éprouvèrent peu après une nouvelle disgrâce. Servilius, averti de l’apparition des Carthaginois en Etrurie, avait quitté Ariminum pour se rapprocher de son collègue. Il avait mandé en avant quatre mille cavaliers qui furent surpris et capturés après un vif engagement.