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sir John Carr, de voir un homme dont le renom a pénétré jusqu’aux confins de la terre, et dont les exploits sont comparables à ceux du vainqueur de Darius. » Ceux qui l’apercevaient le trouvaient séduisant, de taille élégante, et de visage superbe. Son corps bien cambré, disaient-ils, révélait « des merveilles musculaires ; » « la douce mélancolie » rendait enchanteur son sourire : bref, un athlète doublé d’un lakiste ! Aussi, les parades consulaires étaient pour le touriste anglais un spectacle de sélection. C’était là, en ce milieu propice, qu’il voulait admirer le héros, le voir parler en camarade à ses compagnons d’armes, les morigéner doucement, doucement leur tirer l’oreille. Et quel amour, pensait-il, chez ces guerriers pour le Tondu, leur petit caporal : « son cheval même devait avoir conscience de la gloire de son cavalier ! » Et puis, là-bas, dans le home, le sweet home, autour de la théière ou du flacon de whisky, se débitaient tant de falotes histoires ! Le Consul, affirmait-on, avait rapporté d’Egypte un fort curieux usage. Aux jours de grande revue, des soldats poussaient devant lui un déserteur condamné à mort ; Boney livrait d’abord ce lâche aux quolibets de ses grenadiers, puis un mamelouk, chaouch du Maître de l’Heure, faisait, d’un coup de cimeterre, rouler au loin la tête du misérable… Sensation inédite ! Et porteurs d’une carte d’entrée, Wilson et Williamson, Ketty et Georgina accouraient s’émouvoir.

Selon leur condition officielle, ces divers invités trouvaient des places de choix ou de rebut. Les gens de la maison consulaire connaissaient bien leur monde et savaient saluer l’uniforme tout autrement que le frac sans broderies. Déjà, une cour très compliquée s’organisait en ce rudiment de cour, cérémonieuse et formaliste. Les personnages de marque allaient donc attendre dans les appartemens de réception ; on dirigeait les citoyens sans chamarrures sur le cabinet du général Duroc : le gouverneur du Palais en recevait toujours quelques vingtaines. Quant aux croquans de la République, porteurs de pétitions, ils étaient condamnés à faire piteusement pied de grue. Pour eux, le pavé des Tuileries : on les rangeait au long des murs, sous les fenêtres du rez-de-chaussée. Aux jours d’averse ou de bruine, une pareille place eût pu sembler peu délectable ; mais, par un miracle des cieux, le soleil, disait-on, dissipait les nuées dès qu’apparaissait Bonaparte. Du reste, trois ou quatre heures de fastidieuse faction n’étaient pas pour effrayer de vaillans