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Bonaparte une sévère et très longue revue d’inspection. Il mettait pied à terre, entrait dans les rangs, examinait avec soin l’état des armes, la qualité des équipemens ; souvent même il faisait commander l’exercice, exécuter jusqu’à l’école du soldat. Bon garçon, d’ailleurs, et camarade avec le troupier, le tutoyant sans brusquerie, provoquant ses doléances sur la gamelle et le rata, recevant des pétitions qu’on lui présentait fichées dans le fusil, distribuant aux mieux notés des armes d’honneur, pinçant l’oreille des « mauvaises têtes ; » bref, très affable avec sa « chair à canon ; » mais dur, bourru, brutal pour l’officier qu’il jugeait incapable ou prévaricateur. Telle était sa manière. La minutie de ses analyses lui servait à construire d’impeccables synthèses. Etudiant, homme à homme, chacun de ses régimens, il connaissait à fond son armée tout entière : ce génie merveilleux fut autant fait de patience laborieuse que de soudaine inspiration… Commencées dès midi, plusieurs de ces parades se prolongeaient jusqu’à cinq heures du soir. Et durant ce temps, ministres, législateurs, fonctionnaires, se morfondaient dans le Château ; les officiers d’escorte restaient en selle ou piétinaient dans la cour. Un tel sans gêne à leur égard exaspérait les généraux. Pas de dîner, de théâtre possibles, avec ce tatillon, cet impatientant chercheur de vétilles ! Mais Bonaparte n’avait cure de leur plaisir, et se gaussait de leur méchante humeur…

Aujourd’hui, toutefois, il ne s’attardait pas à ses inspections cou lumières. Il passa au galop devant le front des régimens, puis vint se poster en face du Palais, à sa place habituelle pendant les défilés. Au milieu de la cour, les musiques de la Garde attaquèrent un pas redoublé ; les trompettes de la cavalerie leur répondirent, et le défilé commença. Rapidement se succédèrent les habits bleus à revers blancs des 33e, 39e et 64e d’infanterie de bataille ; les bonnets à poil des grenadiers et des chasseurs à pied de la Garde ; les casques à peau de tigre des 9e et 19e dragons ; les oursons des grenadiers à cheval ; les colbacks des guides, à l’uniforme vert rehaussé d’amarante. L’artillerie enfin, avec ses lourds canons montés sur des chariots, termina le défilé… Et maintenant, allait-on ouvrir les grilles si longtemps closes, permettre au populaire d’approcher, d’entourer, un instant, le Consul ? Non ; Bonaparte s’éloigna au galop dans la direction du Palais. Déjà, les porteurs de suppliques s’étaient élancés à sa rencontre : on les écarta. Il descendit de