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savait gré, toutefois, à ce divisionnaire, d’être un soldat discipliné, docile, exact dans le service. Voulant donc se montrer aimable avec un homme à ménager, il s’arrêta pour causer avec lui… Et soudain, parmi les inconnus qui entouraient le général, il aperçut un colonel, hussard à dolman brun, tresses argentées et pelisse bleue…

Oh ! celui-là, il le connaissait bien : Fournier, ce beau François Fournier, l’enfant chéri des dames, le galant aujourd’hui préféré de la citoyenne Hamelin. Mais Bonaparte goûtait peu ce Lovelace : mauvaise tête, critiqueur, jacobin ; jadis créature de Barras, camarade à présent de tous les mécontens ; de plus, grand faiseur d’équipées, provocant des querelles, présidant aux bagarres, joueur incorrigible, duelliste impénitent : — si redouté et si redoutable pour son adresse au pistolet !… Eh quoi ! ce risque-tout, cet homme d’audace et de coup de main avait chevauché, tout à l’heure, parmi les officiers de l’escorte consulaire ? Comment se trouvait-il encore à Paris ?… Il avait pourtant reçu l’ordre de regagner sa garnison : Lanciano, au fin fond des Abruzzes, dans les profondeurs de la Botte Italienne, — loin, très loin du Consul… Pourquoi donc n’avait-il pas obéi ?…

Brusquement Bonaparte l’apostropha : « Ainsi, encore et toujours à Paris ? » Le hussard avait sans doute préparé sa réponse : « Oui, encore à Paris, pour affaire de service. » Mais Bonaparte la connaissait « l’affaire de service : » Frascati, les tripots du Palais-Royal, la chambre à coucher de sa Mme Hamelin… peut-être même de ténébreux projets. A d’autres la belle histoire !…

Fournier, cependant, forgeait une excuse, fournissait des raisons : « Là-bas, dans la bicoque de Lanciano, les hussards de la 12e moisissaient et perdaient patience : ils se croyaient déportés. Leur retour en France devenait nécessaire. Au surplus, le ministre l’avait promis et… » — « Il faudrait d’abord savoir obéir, rejoindre au plus tôt votre poste ! » C’était un ordre péremptoire ; le chef de brigade s’inclina : « il obéirait. » — « Sans trop tarder, j’espère ? » — « Sans tarder. »

Soit !… et Bonaparte s’éloigna.