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III. — UN CONQUÉRANT ET SA CONQUÊTE

L’officier que le Premier Consul venait de traiter avec une telle rudesse était pourtant l’un des plus braves d’entre les braves de ses armées. A vingt-six ans le Directoire l’avait promu chef de brigade, et les appréciateurs de sa vaillance l’appelaient déjà « le premier hussard de la République. »

François Fournier, ce fameux Fournier-Sarlovèze, était né le 6 septembre 1773, en un pays non moins gascon que la Gascogne, Sarlat du Périgord, et sous le toit d’un brandevinier. Son père tenait, dans la petite ville, un cabaret à la mode que fréquentaient surtout les cajoleurs de la dame de pique. On jouait beaucoup dans ce « brandon, » et peut-être la vue du tapis vert paternel provoqua-t-elle chez François cette passion effrénée des cartes qui fît plus tard de lui la providence de tous les brelans. Au reste, il conserva toujours l’insouciante philosophie apprise au tripot natal, aventurant sa vie comme il risquait sa bourse, et traitant ses amours à la façon de l’as de cœur. De bonne heure, sa famille avait rêvé pour le garçonnet de hautes destinées : « Ah ! si nous pouvions en faire un huissier ! » On avait donc confié cette jeune âme aux soins procéduriers d’un procureur. Bien dressé par son maître chicaneau, un certain Lavelle, Fournier acquit très vite une rare connaissance de la paperasserie juridique : « le premier légiste de l’armée, » a dit du « premier des hussards » le facétieux Thiébault. Mais tapageur, insoumis, beaucoup trop espiègle, coutumier de gamineries fâcheuses, recevant, a-t-on dit, des écus, et ne versant à son patron que des gros sous, le petit clerc s’était entendu congédier : déjà le galopin « hussardait » les avoués ! Tel fut, d’ailleurs, le début dans la vie de maints soldats, héros de la Révolution : des garnemens d’abord, et le souci de leur famille, puis brusquement devenus les champions du drapeau, l’honneur et la fierté de leur pays…

Au premier appel de la « Patrie en danger, » le farceur de basoche était accouru à Paris, pour revêtir l’uniforme. Alors, des chevauchées épiques, des coups d’estoc et de taille, des charges menées à toute bride contre les vils tyrans et les hordes esclaves. « Escadrons en avant ! » Et, dragon de la 9e, chasseur de la 16e, aux armées du Nord et de Sambre-et-Meuse, à Fleurus