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« Messire Pierre Delmas, seigneur du Chastainier, d’Eyssard et autres places : » gloriole limousine, ou pour mieux dire humaine, si fréquente en notre pays de France, féru pourtant d’envieuse égalité. Au reste, Delmas ou Muralhac, ces faiseurs d’embarras étaient de vaillans hommes, servant le Roi de père en fils, officiers de fortune, parfois même chevaliers de Saint-Louis : ces gens-là qui manquaient de « sang » en étaient cependant bien prodigues… Lui aussi, et dès sa douzième année, Guillaume avait endossé l’habit blanc : « enfant de corps » à Touraine-Infanterie. Mais insubordonné, libertin, criblé de dettes, amateur de scandales, le clampin devenu lieutenant s’était fait destituer. « Mauvaise conduite et mauvais exemples, » au dire de son colonel. L’indomptable Delmas se laissait déjà entrevoir dans le garnement si mal noté…

L’épaulette qu’avait enlevée le Roi, — le peuple souverain la lui rendit bientôt. Commandant élu de volontaires en 1791, dès 1793 le jouvenceau était général : il avait à peine vingt-cinq ans. Delmas alors s’était épris de cette Révolution qui lui prodiguait ses faveurs, et pour toujours l’avait passionnément aimée. Champion de la République, durant dix années, il combattit pour sa déesse, partout où nos loqueteux porte-sabots s’élancèrent « baïonnette en avant ; » partout où, de son bonnet rouge, le drapeau tricolore défia les aigles couronnées. En leur sèche nomenclature, ses états de service ont plus d’éloquence qu’un dithyrambe : « Delmas (Antoine-Guillaume), chef de bataillon le 19 juin 1792, général de brigade le 30 juin 1793, général de division le 19 septembre de la même année. Campagnes : 1792, 93, 94, 95 (Armées du Rhin et du Nord) ; 1796, 97, 98, 99, 1800, 1801 (Armées de Rhin-et-Moselle, du Rhin et d’Italie). » Batailles rangées, surprises de nuit, passages de rivières, assauts de places fortes, enlèvemens de redoutes, — il prit part à trente-huit combats ; corps balafré par les taillades, cible vivante offerte aux balles : un héros ! Bien avant Michel Ney d’Elchingen, c’était déjà un brave des braves, le « lion » qui entrait en fureur dès les premières batteries de la charge ; on l’avait surnommé « Delmas l’Avant-Garde… »

Aussi un pareil affronteur de mitraille était fort populaire dans les casernes. Bien râblé, musclé à souhait, très fier de la vigueur de ses biceps, l’Hercule de la Corrèze imposait aux soldats. Et puis, si bon garçon ! n’exigeant que de la bravoure,