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la morale du bouddhisme ou du christianisme, la gloire de l’auteur du Monde comme volonté et comme représentation est de l’avoir proprement et véritablement laïcisé… L’enseignement que les grandes religions pessimistes avaient dérivé, pour ainsi dire, de la révélation ; et à l’origine duquel, en mettant le miracle ou le mythe, elles avaient donc aussi mis l’obligation de croire, l’abdication du sens propre, l’acte de foi, Schopenhauer l’a tiré du seul spectacle de la vie. » Et, mêlant cette fois la question religieuse à la question morale, il ajoutait :


Les religions pourront donc passer, en tant que leurs mystères, sans lesquels elles ne sont que des philosophies, prétendront s’imposer à la raison, désormais et pour toujours émancipée par la science. Elles ne passeront point, on tant qu’elles sont quelque chose de plus et d’autre que la science ; en tant qu’elles touchent à dos problèmes qui, pour ne pas pouvoir être mis en équations, n’en sont pas moins réels ni moins graves ; en tant qu’elles répondent à d’autres besoins, plus universels, plus profonds, — et plus noble peut-être, — que celui de connaître.

Ne le voyons-nous pas bien depuis quelques années ?… De là cette renaissance de l’idéalisme. De là ce besoin de croire [on a reconnu au passage les titres mêmes de deux futurs « discours de combat, »], qui se manifeste quelquefois d’une étrange manière, il est vrai, mais qui n’en est pas moins sincère. de là cet effort que l’on fait un peu dans tous les sens et dans toutes les directions : ceux-ci pour démontrer » la vertu morale du christianisme, » et que les morceaux en sont bons : ceux-là, dont on a tort de rire, pour acclimater parmi nous je ne sais quel bouddhisme ; d’autres encore pour établir sur des bases nouvelles les vérités qui chancellent sur les fondemens qu’on leur donnait jadis ; et tous ensemble, si l’on y veut bien regarder d’assez près, pour sauver de la religion ce qu’ils sentent bien qu’on ne pourrait en laisser périr sans laisser l’homme retourner à l’animalité. Le pessimisme en général, et la philosophie de Schopenhauer en particulier, nous en offrent les moyens. Croyons fermement avec lui que la vie est mauvaise… Croyons que l’homme est mauvais… Et croyons que la mort, dont on nous a fait si longtemps un épouvantail, est vraiment, au contraire, une libératrice ; ce qui nous permettra de la regarder fixement, de vaincre ce que la peur que nous en avons mêlé de lâcheté dans tous nos actes, et de la braver au besoin. Croyons-le, parce que tout cela est aisé à croire ; croyons-le, parce que tout cela est bon à pratiquer ; et croyons-le enfin, parce que tout cela est maintenant court, simple, et facile à prouver.


Ces paroles sont assez claires. A l’époque où nous sommes parvenus, Ferdinand Brunetière croit avoir trouvé la solution du problème dont la hantise le poursuit depuis si longtemps ; et l’ayant trouvée, il se hasarde à sortir de sa réserve antérieure,