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certaines sociétés commerciales, » et ces violences étaient, non une exception, comme on l’a prétendu, mais « une règle habituellement suivie (p. 197). Les sentinelles (noirs armés d’un fusil et chargées de surveiller le travail des indigènes dans la forêt, se sont livrées à des crimes et à des excès sans nombre (p. 198-200). Les promenades militaires ayant pour but de rappeler les indigènes à leur devoir, deviennent souvent des expéditions guerrières dégénérant en massacres accompagnés de pillage et d’incendie… Le vague, l’imprécision des ordres donnés et, dans certains cas, la légèreté de celui qui était chargé de les mettre à exécution ont ou fréquemment pour conséquence des meurtres non justifiés (p. 213, 216, 217), » etc., etc.

Ces quelques exemples, pris au hasard dans un rapport qui ne compte pas moins de cinquante pages, prouvent assez que tout n’était pas imaginaire dans les accusations britanniques. Léopold II l’a loyalement reconnu dans un document dont nous parlerons plus loin, et voici comment il s’exprime à cet égard :


Il y a eu des désordres : ils sont inséparables de toute œuvre humaine. Si l’on voulait relever seulement pendant un mois les actes délictueux qui se commettent, fût-ce en temps ordinaire, dans les grandes villes du monde, et même dans les campagnes, on serait épouvanté des tableaux qu’on aurait sous les yeux. Il y a des crimes au Congo, beaucoup moins fréquens, en réalité, que ne le prétendent certains détracteurs, mais encore en trop grand nombre, comme le prouve la liste déjà longue des peines prononcées.


On a beaucoup admiré la sincérité de cet aveu ; mais, à le lire, il semblerait qu’il ne se passe rien d’anormal au Congo : là, comme en tous pays, malheureusement, il y a des désordres que la justice cherche à réprimer. Rien de plus. C’est ce qu’il semble difficile d’admettre. La véritable cause des crimes commis dans l’État indépendant, c’est le système fiscal appliqué depuis 1891 et qui, bon gré mal gré, pousse les fonctionnaires à abuser des indigènes et à employer envers eux des rigueurs vraiment inouïes pour obtenir un plus grand rendement en impôts ou en corvées. Certes, on a pu signaler des désordres, voire même des « atrocités » ailleurs. Ainsi que le dit M. Paul Leroy-Beaulieu, « chez les trois quarts des Européens venus aux colonies, il couve une âme de négrier, » et nous savons qu’au Congo français notamment, certains agens, grisés par leur situation indépendante, excités par le soleil tropical et trop âpres au gain, se sont livrés