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par des gens moins frondeurs, les plus agités d’entre ces opposans continuaient toutefois leur agaçant manège, — censurant, brocardant, dénigrant le Consul, se posant en victimes et criant au martyre. Or Bonaparte prêtait trop d’importance à des importans sans audace, et s’imaginait, bien à tort, qu’ils travaillaient dans l’ombre à machiner quelque révolte...

Voilà ce que n’ignorait pas Dossonville, et le mot « tribun » l’avait de nouveau mis en joie... Peste ! un tribun parmi les conjurés ! Mais alors ces voitures qui stationnaient devant la maison y avaient dû amener force et force tribuns !... Quelle autre superbe trouvaille, et quel rapport à rédiger !... C’était, nous l’avons dit, un psychologue, cerveau fertile en inductions osées, et qui de l’analyse savait s’élever jusqu’à la synthèse.


Le soir même, il se dépêcha de libeller un avis menaçant Donnadieu se cachait à Paris ; Sergent-Marceau recelait ce complice ; le général Augereau avait connaissance de la conspiration, et plusieurs des anciens tribuns s’y trouvaient compromis... L’affaire ainsi corsée prenait vraiment une fort belle apparence. Dossonville savait, d’ailleurs, en quelles mains déposer son rapport. A défaut du malveillant Davout, il comptait parmi ses protecteurs un puissant personnage : le citoyen « secrétaire du Conseil d’État des Consuls. » Dévot adorateur de Bonaparte, son familier et son confident, ce secrétaire d’Etat, Hugues B. Maret, passait pour être un fin lettré, noble amateur du beau langage, Mécène recevant à sa table maints nourrissons des Muses, digne, au surplus, grâce à de tels dîners, de s’asseoir dans un fauteuil académique. Le Mécène aimait du reste avec ferveur les choses de la police, tenait sa porte ouverte aux informateurs du grand monde, et ancien diplomate, faisait souriant accueil à tous les indiscrets de bonne volonté... Ce fut donc à cet aimable citoyen qu’en la matinée du 14 floréal, Dossonville remit son rapport. Sûr désormais d’être lu, compris, apprécié par le Premier Consul, il attendit avec confiance les résultats de son habile enquête...

Mais déjà La Chevardière avait pris les devans, et jouait un tour pendable à son compère et camarade. Un troisième personnage, frais débarqué d’Egypte, s’occupait à présent du complot : l’affaire, par deux fois « engraissée, » prenait une envergure énorme.