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que le nom. Plus chanceux qu’un Custine, qu’un Biron ou qu’un Beauharnais, Menou, malgré sa « particule, » n’avait donc pas courbé la nuque sous la « machine à égalité. » Un prudent étalage de sans-culottisme, d’effrontées professions de foi : « Capet m’a toujours fait horreur... ; pour moi l’insurrection est un dogme !... » surtout de puissantes amitiés montagnardes l’avaient préservé de la guillotine ; même, fanfaron de jacobinisme, il était devenu l’un de ces favoris qu’avantageait la Convention. Etoiles de divisionnaire, fonctions de général en chef, commandement de l’Armée de Paris, mentions flatteuses, sabres d’honneur, « armure complète, » elle avait tout prodigué à ce renégat de son Roi, renieur aussi de son blason...

Agé, en 1802, d’environ cinquante ans, mais portant beau encore, — avec sa face rasée, ses joues grassouillettes, ses lèvres sensuelles, son nez busqué, son front fuyant, ses cheveux poudrés à frimas, Jacques-François de Menou, baron encanaillé, ressemblait à quelque pastel de La tour. L’aisance de ses nobles manières, son parler ironique et choisi, sa hautaine affabilité, sa religion à la d’Holbach, le débraillé de ses mœurs et le libertinage de sa conduite, ses amours excentriques, son goût pour les comédiennes aussi vif que pour les Mauresques, le chiffre élégant de ses dettes que, du reste, il ne payait pas, et aussi son impétueux courage, son mépris du danger, ses coups de sabre à la façon d’un La Tulipe lui eussent acquis un superbe renom au temps des Châteauroux et des Pompadour. Mais il en était autrement dans la France de l’an X, parmi des camarades, fils de pacans et gagneurs de batailles. Le ci-devant, aux airs d’aristocrate, offusquait leur rusticité, et ils se gaussaient d’un soldat qui ne savait pas vaincre. Jamais, depuis les jours des Clermont et des Soubise, plus incapable militaire n’avait porté l’uniforme français. Tous les combats qu’avait livrés Menou s’étaient pour lui terminés en défaites ; battu en Vendée, et battu encore en Afrique, il était le fuyard des Ponts-de-Cé, de Vihier et de Saumur, le vaincu d’Aboukir, du Camp des Romains, d’Héliopolis, d’Alexandrie. Successeur en Égypte de Bonaparte et de Kléber, il venait de capituler, de livrer aux Anglais tous les grognards de l’épopée fabuleuse : grenadiers, abatteurs de mameloucks dans les sables des Pyramides ; dragons, sabreurs de janissaires sur les pentes du Mont-Thabor ; hussards ayant gravé leurs noms dans les temples de la Thébaïde. Un désastre ! La