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des recettes et des dépenses, la mesure de la prospérité et de la valeur d’un peuple.

L’ambition et le but de la vie, non seulement chez les samouraï, mais pour toute la nation japonaise, n’étaient pas matérialistes. Les grands fondateurs de leur organisation sociale, Mencius Lao-îse et Confucius savaient bien que la satisfaction intérieure ne pouvait naître que des causes métaphysiques, donc ils s’efforçaient d’inculquer la dignité personnelle, et de développer au plus haut degré possible toutes les vertus naturelles qui pouvaient servir à atteindre ce but. L’affection filiale et l’autorité des parens contribuaient non seulement au maintien de la paix, mais à la satisfaction intérieure. C’était un plaisir d’obéir alors que l’obéissance était considérée comme un devoir moral. La discipline était inébranlable au Japon, tant qu’elle était déterminée par la conviction et l’affection. La piété filiale était inséparable de la loyauté envers la personne du souverain, maître aimé et absolu du pays, auquel on attribuait une origine divine. Les Shoguns, politiques avisés et habiles administrateurs, dirigeaient naturellement l’éducation dans cette voie, et faisaient leur possible pour entretenir ces nobles sentimens. Ces sentimens d’ailleurs n’appartenaient pas uniquement aux classes privilégiées ou militaires, ils étaient ceux de la société tout entière, et on les retrouvait également dans les châteaux des nobles et sous le toit des plus pauvres travailleurs.

Le professeur Inazo-Nitobe, dans son livre sur le Bushido, a porté sur ce point une appréciation fort juste que je prendrai la liberté de citer en entier.

Pour comprendre que l’esprit du Bushido pénétrait jusqu’au fond de toutes les classes, il suffit de voir l’influence qu’il exerça sur un certain groupe d’hommes, appelé otokodate, les chefs naturels de la démocratie. C’étaient des gaillards à toute épreuve, d’une virilité bien trempée. À la fois orateurs et gardiens des droits populaires, chacun d’eux était le maître de centaines et de milliers d’âmes, qui lui rendaient, comme le samouraï au daïmyo, un hommage lige, c’étaient « des dispensateurs de la vie, des biens de l’honneur ici-bas. » Ainsi soutenus par une masse d’ouvriers entreprenans et farouches, ces hommes qui semblaient nés pour commander opposaient une barrière formidable à la domination de l’ordre militaire des deux épées. De la classe sociale où il prit son origine, le Bushido s’est infiltré jusque dans les masses