Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 45.djvu/706

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

après des émeutes regrettables dans différentes parties du pays. Comme je l’ai déjà dit, il était facile de prévoir, dès la veille du siècle nouveau, que les socialistes s’organiseraient comme aux Etats-Unis et ailleurs, et que leur but serait de s’emparer des classes ouvrières d’abord dans les villes, et ensuite dans les campagnes.

Connaissant, comme nous la connaissons, l’origine du socialisme en Europe pendant la deuxième moitié du XIXe siècle, et les doctrines de ses protagonistes, Marx, Lassalle et leurs disciples, nous savions d’avance que la transformation sociale amènerait au Japon les mêmes troubles que dans les autres pays. Seulement chez ce peuple, où les classes ouvrières d’un tempérament pacifique sont très industrieuses et se montrent aisément satisfaites de leur sort, on aurait pu éviter le mal en s’organisant à temps et en canalisant l’exubérance de son esprit dans une direction plus sûre. L’éducation aurait pu faire beaucoup, mais, sous ce rapport, les classes ouvrières ont été, hélas ! négligées. Les parens travaillent dans les usines, les enfans courent les rues, ou bien, arrivés à l’âge de fréquenter les écoles, ils apprennent à lire et à écrire, sans qu’on se préoccupe de la formation de leur pensée et du développement de leur caractère.

Autrefois, ils grandissaient au milieu de la famille ; directement ou indirectement, ils s’imprégnaient de vertus domestiques par l’exemple plutôt que par les préceptes. En général, la vie de famille au Japon était exemplaire, il n’y avait d’excès d’aucune sorte à réprimer. Les pièces étaient séparées uniquement par des cloisons en papier, tout ce qui s’y faisait était au grand jour. Un fusuma, un écran en carton glissant sur des roulettes, si frêle en apparence, protégeait mieux qu’un mur d*e pierre. Si paradoxal que cela semble, c’est pourtant la vérité. Quand on voyage à l’intérieur du pays, où le contact avec l’étranger n’a pas encore détruit les anciennes croyances, où les idées nouvelles n’ont pas encore pénétré, on se sent plus en sûreté dans une cabane en bois, sans portes ni loquet, au bord de la route, que dans un magnifique hôtel moderne avec ses serrures, ses verrous, et ses veilleurs de nuit.

Les traditions transmises de père en fils, les conventions dix fois séculaires ont fait une forteresse de la chaumière japonaise. Très souvent, cette inviolabilité du seuil domestique est mentionnée dans les contes populaires, et maint fait historique