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certainement celle de ses rapports avec la France. Au fond, aimait-elle notre pays ? S’il subsiste quelques doutes à ce sujet, si la libre pensée française inquiétait par momens son âme de chrétienne, si le souvenir des luttes soutenues par l’Angleterre contre Napoléon la rendait très attentive à toutes les manifestations de la politique française en Europe, et très résolue à les surveiller de près, on ne peut méconnaître son sincère attachement pour le roi Louis-Philippe. Le beau-père du roi des Belges a droit à toute son affection. Il ne s’agit nullement de politique. La politique n’a rien à voir avec ses sentimens de famille ; elle en profite néanmoins, comme nous l’avons montré à propos des événemens de 1840. Dans la lutte engagée presque violemment entre lord Palmerston et Thiers, l’amitié personnelle des deux souverains l’un pour l’autre a contribué plus que tout le reste à la pacification des esprits. Depuis lors, la Reine ne laisse échapper aucune occasion de témoigner au roi des Français l’affection qu’elle lui porte. Elle parle sans cesse avec le plus vif intérêt de lui et de sa famille dans les lettres qu’elle adresse à Bruxelles. Aucune maison souveraine d’Europe n’est plus touchée que la maison d’Angleterre par la mort tragique du Duc d’Orléans. Les condoléances qu’envoie la Reine à Paris n’ont rien de banal ; elles partent du plus profond d’un cœur affligé. Quelle douceur en revanche lorsque l’année suivante le couple royal peut faire une visite au château d’Eu, puis réunir à Windsor le Duc et la Duchesse de Nemours ! La visite que compte faire le Duc de Bordeaux en Angleterre à la même époque contrarie la Reine ; elle trouve l’idée « stupide, » mais elle s’arrangera pour que les princes français n’en souffrent pas ; eux seuls seront officiellement invités et reçus ; le prétendant ne recevra de la Cour aucune marque d’intérêt, il sera comme s’il n’existait pas. Cet attachement à la dynastie qui règne en France n’implique pas l’approbation nécessaire de la politique étrangère de cette dynastie, comme on devait le voir un peu plus tard. On aime personnellement le Roi et les princes ses fils. Mais s’il leur arrive de contrarier sur un point les traditions de la politique anglaise, on leur fera bien voir qu’on n’entend rien leur céder de ce qui concerne les intérêts de l’Angleterre.

On le vit au moment de la crise des mariages espagnols. Au sujet de l’Espagne, le point de vue des deux gouvernemens était différent, presque opposé. L’Angleterre, qui sous Napoléon avait