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que les bâtimens turcs ont été incendiés à Sinope par la flotte russe, la Reine veut douter encore ; il lui reste un vague espoir de ne pas être obligée de recourir aux armes. On n’a pas le récit authentique de l’événement, peut-être la Russie pourrait-elle l’expliquer et l’excuser. Jusqu’à la dernière heure elle résiste autant qu’elle le peut à la double pression du gouvernement français et de ses propres ministres, beaucoup plus excités qu’elle.

Au moins si, presque malgré elle, elle est acculée à la guerre, elle juge nécessaire de ne l’engager qu’avec des forces suffisantes. On parle d’augmenter l’armée anglaise de 40 000 hommes. Qu’est-ce que cela pour faire figure en Orient ? Elle demande à son ministère une augmentation immédiate de 30 000 hommes. Une fois le drapeau de l’Angleterre déployé et la guerre décidée, l’attitude de la Reine change tout à fait. Autant elle a mis de bonne volonté et de patience à conserver la paix, autant elle est résolue dans l’action. C’est du sang de soldat qui coule dans ses veines, elle aime à le rappeler. Rien ne l’émeut davantage que les combats livrés par ses armées dans les Indes, en Afghanistan, en Chine. Les récits de guerre l’ont toujours enthousiasmée depuis son enfance ; elle se fait raconter les traits de courage de ses officiers et ne leur ménage pas les récompenses. L’homme de son temps qu’elle a le plus admiré, avec lequel elle ne s’est jamais entretenue sans un frisson d’orgueil, c’est Wellington, le héros de la guerre d’Espagne et de Waterloo. Il représente pour elle les plus glorieux souvenirs de l’Angleterre moderne. Puisque celle-ci, après quarante ans de paix en Europe, est obligée à nouveau de tirer l’épée, qu’elle le fasse noblement et fièrement ! Que les marins et les soldats qui vont combattre au loin pour la patrie se sentent soutenus par les sympathies de la nation tout entière ! Aussi la Reine recommande-t-elle à ses ministres de serrer les rangs, de faire cesser entre eux toutes les divisions qui les affaibliraient, et chaque fois qu’a lieu un départ pour la guerre, se fait-elle un devoir de saluer ceux qui partent.

Du balcon de Buckingham-Palace, à sept heures du matin, au mois de février, elle voit défiler les fusiliers écossais qui présentent les armes et acclament avant de s’embarquer le couple royal. « Ce fut un touchant et magnifique spectacle, » écrit-elle au roi des Belges. Elle raconte également à son oncle le départ