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de l’esprit d’équité de la politique anglaise. Reine constitutionnelle, avec des ministres qui gouvernent pour elle, elle n’obtient pas toujours ce qu’elle voudrait. Elle l’essaie néanmoins chaque fois qu’une question capitale est en jeu ; elle lutte pour les idées qu’elle croit justes jusqu’à la dernière limite de son pouvoir. Après la guerre de Crimée, après la sanglante révolte des Indes qui lui ont révélé les parties faibles de l’organisation militaire anglaise, elle insiste pour obtenir une meilleure méthode et plus d’argent. Ce sont les misérables économies d’autrefois qui ont souvent paralysé les efforts de ses soldats. Qu’on ne lésine ni sur le nombre des hommes de l’armée de terre, ni sur le nombre des bâtimens de la flotte, ni sur le chiffre des subsides nécessaires. Elle a le sentiment très vif qu’une grande nation, telle que l’Angleterre, avec son passé de gloire et de prospérité, ne doit pas se laisser surprendre par les événemens. Quelles que soient les apparences et même les garanties de la paix, il faut se tenir aussi prêt à faire la guerre que si la guerre devait éclater demain.

La correspondance journalière que la Reine entretient avec ses ministres nous permet d’étudier de près le mécanisme du gouvernement constitutionnel. Lorsque, à l’âge de vingt-deux ans, elle a perdu le chef de son premier ministère, lord Melbourne, auquel elle témoignait l’affection d’une fille, nous avons vu qu’elle en éprouva un profond chagrin. Les mêmes émotions ne se renouvelleront pas à chaque changement de ministère. Elle s’habituera et s’endurcira ; ses ministres ne seront pas tous des amis personnels, mais elle exigera de tous un minimum d’égards sur lequel elle ne transigera pas. Elle considère comme un droit de sa charge d’être consultée sur les nominations importantes ; elle entend également qu’aucune communication ne soit faite aux membres du Parlement ou aux gouvernemens étrangers sans qu’elle en ait eu connaissance. En général, elle est obéie. De temps en temps néanmoins, des billets courts et un peu secs attestent qu’elle n’est pas contente. Elle ne laisse passer aucune incorrection sans la relever, elle croirait manquer à un devoir essentiel si la royauté perdait entre ses mains le plus mince de ses privilèges. Toute jeune, dès son avènement au trône, elle s’est fait une loi de n’aliéner aucun des droits qu’elle tient de sa naissance et de la tradition. Même avec lord Melbourne, qu’elle aime si tendrement, il lui arrive de manquer de patience, lorsqu’elle