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a mis sa signature. Elle déclare à lord John Russell qu’elle n’a aucune confiance en lord Palmerston, qu’elle craint pour la sécurité du pays aussi bien que pour la paix de l’Europe, qu’elle vit dans une anxiété continuelle de ce qui peut survenir d’un jour à l’autre. On ne fait pas de la politique avec des passions, on ne peut en faire qu’avec du sang-froid et du bon sens. N’est-ce pas montrer une partialité révoltante, indigne du bon renom de la Grande-Bretagne, que de donner toujours raison à Charles-Albert, toujours tort à l’empereur d’Autriche ?

Au fond, dans ce désaccord entre elle et son ministre, la Reine voudrait qu’on retirât à celui-ci la direction des Affaires étrangères. Mais le Cabinet ne peut se soutenir devant le Parlement que grâce à la popularité de lord Palmerston, popularité qu’il doit précisément à l’esprit dans lequel il dirige la politique extérieure de l’Angleterre. Etant donné que le Cabinet ne peut se passer de lui, comment lui proposer un changement qu’il n’accepterait pas, qui serait mal vu par l’opinion ? Par qui d’ailleurs le remplacer ? Qui pourrait, au poste qu’il occupe, donner au public la même impression de capacité et de connaissance des affaires ? À ces objections présentées par le premier ministre, la Reine ne veut pas encore se rendre. Elle comprend qu’il sera difficile d’opérer le changement qu’elle demande ; mais, d’un autre côté, elle se doit à elle-même, elle doit au pays de ne pas laisser la direction des Affaires étrangères entre les mains d’un homme qui s’est mal conduit à son égard et dont elle a tant de raisons de se défier. Elle est convaincue qu’il n’y a pas d’affaire délicate et dangereuse dans laquelle lord Palmerston ne se permette d’engager arbitrairement le pays, sans en référer ni à ses collègues, ni à sa souveraine.

Rencontrant des difficultés insolubles pour obtenir ce qu’elle désirait, la Reine voulut du moins régler elle-même la nature des relations qu’elle entretiendrait désormais avec son ministre des Affaires étrangères. Lord Palmerston protestant qu’il n’avait jamais eu l’intention de lui manquer de respect, elle accepte ses excuses et l’expression de ses regrets. Mais pour empêcher tout malentendu à l’avenir, elle exige : « 1° qu’il expose clairement ce qu’il propose dans un cas donné, pour que la Reine puisse savoir aussi clairement de son côté ce à quoi elle a accordé sa sanction royale ; 2° qu’une fois qu’elle a donné sa sanction à une mesure, celle-ci ne soit ni changée, ni modifiée