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— Tout cela c’est la Hollande.

Mais la Hollande, plate, mouillée, herbeuse, peu plantée, grassement féconde, — l’immense plaine de tourbes, de pâturages salés et de boue, conquise sur la mer, à peine desséchée et recevant, jusqu’au fond de ses prairies, le flux et le reflux des marées par les multiples artères de ses canaux, la Hollande du Zuyderzée, il n’est pas besoin de s’égarer bien loin pour la peindre. J’ai refait aujourd’hui une des promenades familières à Paul Potter, à Ruysdaël et à Rembrandt quand ils s’en allaient, comme on dit aujourd’hui, peindre d’après nature.

Il avait plu ; — le ciel était changeant ; — le vent venait de la mer, avec de grands souffles et quelque aigreur. De pâles lumières argentaient les nuages ; des ombres tumultueuses couraient sur les plaines. A chaque bouffée, l’eau des canaux frisson- nait, les herbes pliaient et les petits saules tourmentés et maigres renversaient leurs feuillages et devenaient plus blancs. Au bord des eaux, des fanges molles ; au-delà, le vert intense des prairies frappé d’un coup de soleil froid ou plongé dans une ombre livide ; partout la trace symétrique des canaux, du sillon d’eau grise où l’on voyait des lueurs briller et puis s’éteindre. Au loin, espacées dans la steppe, de petites fermes dans leur bouquet d’arbres, rabougries, chagrines, noirâtres, avec leur toit de brique ou d’ardoise indiqué par une seule touche rouge ou blanche.

[La Nature Hollandaise.]


Amsterdam, juillet.

Simples questions :

Dans son livre des Musées de la Hollande, petit manuel de critique instructif à lire, pas toujours bon à croire sur parole, W. Burger dit à propos de Van der Helst et en général de la réalité en peinture : « Ce qu’on appelle ainsi dépend de la manière de voir des individus. Les artistes vraiment doués ont des manières de voir très particulières. »

Qu’est-ce donc que la manière de voir ? Qu’est-ce que la réalité ?

Y a-t-il une conception du réel qui ne soit une manière de percevoir le réel propre à chacun de nous, par conséquent aussi relative, aussi diverse, que nous sommes nous-mêmes des êtres relatifs et des êtres divers ? Les choses sont-elles en soi, et comment