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prussien pendant la campagne de 1790, en y joignant une belle ode latine composée tout exprès à la gloire du jeune prince ; et peut-être le « pourboire » que lui valut ce savant hommage ne fut-il pas sans contribuer à une « maladie assez grave » qui, quelques jours après, faillit empêcher Laukhard de repartir de Berlin avec son régiment.

Revenu à Halle, il réussit à se lier d’une étroite amitié avec un ancien moine franciscain nommé Bispink, qui, ayant été chargé naguère d’enseigner la philosophie dans un des couvens de son ordre, avait cru s’apercevoir de la fausseté des notions qu’il exposait à ses élèves, et, du même coup, s’était transformé en un féroce ennemi de tout dogme chrétien. Echappé de son couvent, il était venu ouvrir, à Halle, un commerce de librairie dont la spécialité était, surtout, la publication et la vente d’ouvrages anti-religieux : mais probablement la pornographie n’était pas, non plus, pour déplaire à l’ex-franciscain, car ce fut lui qui, en 1791, commanda à son ami Laukhard la première série de ses Souvenirs, employée principalement au récit de ses exploits amoureux aussi bien dans sa bourgade natale que dans les diverses cités universitaires où il avait vécu. L’ouvrage, comme je l’ai dit déjà, parut, avec un succès remarquable, en 1792, — vers le même temps où l’auteur se voyait obligé de quitter définitivement sa tranquille et commode garnison de Halle, pour commencer, sur le champ de bataille de Valmy et devant la place forte de Landau, la seconde série de ses aventures.


II

Parti de Halle le 15 juin, le régiment de Laukhard arriva, le 9 juillet, à Coblence, où s’était amassée la foule bruyante et oisive des émigrés français. Le général prussien avait défendu à ses hommes de fréquenter ces étrangers, par crainte que ceux-ci ne les décidassent à déserter pour passer dans leurs troupes, comme y avaient passé, déjà, nombre de soldats d’autres régimens : mais Laukhard, dès le premier jour, se fit un devoir de ne point tenir compte de cette prescription, trop heureux de pouvoir étaler tout ensemble, dans les cafés élégans que remplissaient les émigrés, sa connaissance de la langue française et sa lucrative maîtrise à tous les jeux de cartes. Sous les descriptions qu’il nous fait de la pourriture morale produite, à Coblence et