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aussi bien que ses camarades ; et, en effet, lui-même avait fini par prendre, à ce spectacle, un certain plaisir. « Tout le monde, d’ailleurs, à Lyon, parlait de couper des têtes comme s’il s’agissait d’abattre des noix. Sans se donner la peine de faire aucune enquête, on estimait qu’il suffisait d’avoir été noble ou prêtre pour mériter d’être mis à mort. La guillotine ne pouvant pas opérer assez vite, on expédiait les condamnés à coups de fusil ; et ceux qui ne mouraient pas sur-le-champ étaient achevés par les Sans-Culottes, au moyen du sabre et de la baïonnette. Mais toutes les exécutions accomplies à Lyon par la guillotine et la fusillade ne parvenaient pas, — il s’en fallait de beaucoup, — à satisfaire la fureur et le désir de vengeance de mes compagnons. Car ceux-ci avaient cru pouvoir compter sur le décret de la Convention aux termes duquel toute la ville devait être brûlée et livrée au pillage ; et comme cet événement attendu ne se produisait pas, sans cesse leur indignation s’exprimait en murmures plus hauts. »

On conçoit aisément ce que dut être, et de quelle manière dut se traduire, la colère patriotique de ces justiciers lorsque, un mois environ après l’arrivée de Laukhard à Commune-Affranchie, ils apprirent que la Convention, bien loin de les autoriser à compléter l’anéantissement de la ville « aristocrate, » venait de décréter leur envoi à la frontière, pour y servir régulièrement. Du moins un très grand nombre d’entre eux se promirent-ils de rentrer « dans le civil, » le jour où aurait lieu cette incorporation ; et, en attendant, ils s’offrirent encore un voyage tout semé de parties de plaisir. A Vienne, d’abord, les habitans de la ville, qui n’avaient point pris part à la révolte de Lyon, montrèrent peu de chaleur à les recevoir. « Les Sans-Culottes, campés dans une vaste prairie, sur la rive du Rhône, pestaient et juraient de toutes leurs forces, assurant qu’ils allaient massacrer tous ces maudits muscadins qui hésitaient à accueillir les braves vengeurs de la République. Leurs protestations étaient si bruyantes que le général Laporte fut forcé de se rendre auprès des bourgeois de Vienne, et de leur garantir que ses troupes, si on consentait à les loger, ne procéderaient à aucune exécution. Sur quoi les habitans se résignèrent à nous laisser entrer, et mirent à notre disposition un grand couvent vide. Mais leur retard avait exaspéré mes camarades, qui furent unanimes à déclarer qu’il était de leur devoir, f..., de procéder à