Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 46.djvu/630

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les cuisses démembrées des animaux au sommet du bûcher.

Maintenant, ce n’est plus qu’un rond-point marqué par une bordure de pierre et tout fleuri d’ombelles et de folles-avoines. Mais, à me remémorer les détails réalistes du culte, je ressentis le petit frisson de répugnance qui me revint plus tard à Jérusalem, sous le rocher du Temple, lorsqu’on me montra le trou par où se déversait le sang des victimes… Après tout, c’est nous qui avons tort. Nous manquons d’habitude. A Constantinople, autour de la mosquée Mehmet-Fahti, personne ne songe à s’offusquer des boucheries, des tueries en plein air qui bloquent tous les abords de ce lieu saint, et c’est à peine si l’on se dérange pour laisser passer les chevaux d’abattoir qui plient sous des quartiers de viande et qui vous frôlent de leur charge saignante, sans exciter plus de dégoût que s’ils charriaient sur leurs dos des bottes de pivoines ou de roses rouges.

Or, à Olympie, il n’y avait pas que cet autel colossal. Il en existait une foule d’autres. On abattait et on égorgeait des bêtes dans tous les coins de l’Altis. On les brûlait sur des brasiers de peupliers blancs, où l’on répandait du lait, du vin, de la farine, de l’huile. Quelles fumées, quels mélanges d’odeurs hétéroclites ! Cela devait sentir le roussi, la friture, le graillon et l’encens. On respirait là, sans doute, la même atmosphère que dans les rues indigènes du Caire ou d’Alger, ces petites rues obscures, où des réchauds sont allumés devant les portes, où des encensoirs se balancent au bout de leurs chaînettes, et où les relens des cuisines huileuses se mêlent aux effluves des épices et des parfumeries.

L’affadissement du cœur qui vous prend alors s’atténue bien vite par le plaisir de savourer des sensations exotiques. C’est ainsi que, sur l’Altis, la perception de certains détails un peu rudes se tempérait en moi par la satisfaction de toucher du doigt quelques-unes des réalités d’Olympie et d’animer un instant, fût-ce dans ses parties les moins nobles, cet énigmatique et muet décor.

Mais à quoi bon toutes ces réserves ? Le plus ou moins de noblesse des mœurs se ramène à un étalon conventionnel : on en juge différemment suivant les époques. Il est certain d’ailleurs que les sacrifices et les rites cultuels étaient, aux yeux des pèlerins d’Olympie, l’affaire la plus importante de leur voyage