Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 46.djvu/721

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

après quoi, elle a été dissoute, et toute la Constitution a été reléguée jusqu’à nouvel ordre au magasin des accessoires. Mais rien ne meurt tout à fait. Les germes jetés au vent finissent par trouver un terrain favorable. Aucune force humaine n’empêchera la Turquie d’avoir, elle aussi, un parlement un jour ou l’autre. La question est de savoir si les temps sont mûrs.

Aux dernières nouvelles, le Sultan, impressionné et effrayé par les événemens de Macédoine, avait compris la nécessité, devons-nous dire de céder ? ou de temporiser ? ou de louvoyer ? Quoi qu’il en soit, il a fait savoir qu’il accordait une constitution à son peuple et nous avons dit qu’on lui a répondu par une explosion d’enthousiasme. Pour le moment, tout l’empire est dans la joie. Le sultan Abdul-Hamid est un homme d’une intelligence supérieure, et il vient de montrer qu’il avait la décision prompte. Il a commencé par congédier son grand vizir Ferid pacha, auquel il n’avait, semble-t-il, à reprocher que d’être Albanais, et les Albanais, qu’il croyait fidèles, se sont jetés éperdument dans le mouvement jeune-turc. Il a nommé à sa place le vieux Saïd pacha, le petit Saïd, comme on l’appelle à Constantinople, homme de mérite, mais dont la situation n’est pas enviable : Saïd aura de la peine à en dominer les difficultés. Si le Sultan fait vraiment un essai loyal de la Constitution et s’il accepte avec sincérité, au moins dans ses grandes lignes, le programme des Jeunes-Turcs, il pourra en tirer un grand parti pour assurer son indépendance à l’égard de l’Europe ; mais, à son âge, avec ses antécédens, avec le caractère qu’il a manifesté jusqu’ici, peut-on croire qu’il entrera dans des voies aussi nouvelles sans aucune pensée de rebrousser chemin ? Qui vivra verra.

Ce serait d’ailleurs une erreur de croire que toutes les puissances, grandes et petites, se prêteront d’un cœur bénévole au succès d’une pareille entreprise. Un des points essentiels du programme jeune-turc est la substitution du principe politique de l’unité ottomane au principe ethnique des races diverses qui occupent le territoire de l’Empire avec des droits différens. Les Jeunes-Turcs ne reconnaissent en Macédoine ni Grecs, ni Bulgares, ni Serbes : il n’y a là pour eux que des Ottomans, et le bienfait de la Constitution sera de fondre toutes ces races dans un même bloc, en leur accordant une représentation égale dans le Parlement et des droits égaux dans le pays. C’est une belle conception. Mais qu’en penseront les Grecs, les Bulgares, les Serbes, et les Puissances auxquelles ils se ramifient ? La réalisation du programme jeune-turc signifierait pour les voisins de la Turquie qu’ils