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nécessaire du socialisme. Certains novateurs, en leur description de la société communiste, ont compris la difficulté et l’iniquité de la solution égalitaire. Ils craignent, non sans raison, si on rétribue au même taux toutes les heures de travail : 1° que les travaux répugnans et dangereux ne soient pas librement exécutés ; 2° que les métiers jugés les moins pénibles soient encombrés au détriment des autres. Dès lors, s’il faut en croire M. George Renard[1], on devra distribuer les biens consommables entre les individus selon le caractère plus ou moins pénible des travaux. — Mais comment mesurer ce qu’on appelle la « pénibilité ? » Par « l’attraction qu’exerceront les professions diverses. » Le taux de l’heure de travail doit varier, dit-on, d’après la somme de travail offerte. Si, pour un métier, il se présente un grand nombre d’ouvriers, ce taux baissera. Si, au contraire, les travailleurs s’offrent en petit nombre, ce taux montera. Ainsi, après avoir condamné la loi économique de l’offre et de la demande, le communisme finit par l’appeler à son secours. Ce sera toujours cette loi qui déterminera le taux des salaires, mais par l’intermédiaire du gouvernement et de l’administration. Qu’y gagnerons-nous, sinon plus d’arbitraire, d’intrigues et de favoritisme.

Ceux des socialistes qui appartiennent vraiment à l’école « scientifique, » non à celle du communisme utopique, adoptent pour formule du droit, dans la répartition des richesses consommables : « à chacun selon ses œuvres » et non pas « selon ses besoins. » Mais qu’entendre par œuvre ? L’œuvre n’est pas seulement le travail, ni le produit net du travail, c’est le service rendu à la société. Au lieu de dire simplement : à chacun selon ses besoins, ou : à chacun selon ses œuvres, la justice dit encore : à chacun selon les services qu’il rend au tout. Le point de vue social est essentiel à la définition de la valeur, qui, nous l’avons vu, est elle-même un phénomène social. Il faut compléter la formule en ajoutant : à chacun selon ses services sociaux. Mais comment évaluer ces services sociaux en même temps que les capacités, les œuvres et les besoins ? Les capitalistes, eux aussi, rendent des services sociaux. Si la société rend des services aux individus, les individus rendent service à la société, à commencer par le service de la faire exister, car que serait-elle et

  1. G. Renard, le Régime socialiste.