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Se lèvent, fatigués, pour reprendre leur tâche ;
Les bras vont ressaisir la pioche, la hache,
La rame, le marteau, le hoyau, le métier ;
Les cous vont se gonfler, les reins vont se ployer,
La sueur va mouiller les fronts et les poitrines,
Du sommet clair des monts au fond obscur des mines ;
Et les mains s’étendront pour demander leur pain,
Puisque avec le réveil revient aussi la faim.
Tant de membres meurtris qui dormaient sur leurs claies.
Vont sentir s’aviver et s’enflammer leurs plaies,
Alors que la nuit calme et tendre avait posé
Les huiles de l’oubli sur leur mal apaisé ;
Dans les chairs et les os, le feu des maladies
Va s’animer soudain en secrets incendies ;
Tant de milliers de fronts que calmait le sommeil,
Dès qu’ils seront touchés du premier trait vermeil,
En même temps que vont se réveiller les ruches,
Vont s’emplir de projets, d’ambitions, d’embûches ;
Les pleurs que le sommeil gardait sous les yeux clos
Sur les traits anxieux vont recouler à flots ;
Les coins pacifiés et détendus des bouches
Vont reprendre leurs plis angoissés ou farouches,
Et le jour redoutable, entrant dans les regards,
Y mettra des reflets douloureux et hagards ;
Grâce à lui le candide azur des yeux perfides
Va retrouver sa force ; et les lèvres splendides
Redeviendront l’appât et l’instrument de cœurs
Dont les ombres avaient aboli les noirceurs ;
Partout va s’éveiller l’immense émoi du monde,
Et le gémissement de souffrance qui gronde
Sur l’ahan de labeurs dont il semble sortir.
L’homme va, de nouveau, convoiter et haïr.

Aussi l’Aurore hésite à soulever ses voiles,
Et, laissant s’attarder la clarté des étoiles,
Garde sa lampe d’or sous son manteau pourpré !
Lentement, à la fin, elle l’ouvre à regret,
Et de ses roses bras, de ses bras de lumière,
Lève le globe ardent qui réveille la terre.