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d’espionnage et de délation ; sur un soupçon, ses chefs les plus aimés étaient envoyés en Tripolitaine ou en Arabie ; l’avancement n’était donné qu’à la bassesse et à la flatterie ; il récompensait les mouchards d’Yildiz ; un tel régime, en détruisant la camaraderie entre les officiers et le loyalisme envers le gouvernement, tue fatalement l’esprit militaire.

Ainsi la glorieuse armée turque, réduite à un rôle de police, traitée en suspecte, frémissait d’impatience sous un régime qui énervait sa force et détruisait sa cohésion. Elle souffrait aussi dans son patriotisme : elle accusait le Sultan de mettre le pays sous la tutelle humiliante des étrangers et de préparer la décadence définitive de l’Empire. Les étrangers, l’armée les rencontrait partout : officiers allemands dans les hauts conseils de l’Etat-major, aides de camp italiens dans l’entourage du Sultan, fonctionnaires de toutes les nationalités dans toutes les branches de l’administration, richement payés, indépendans, jouissant de toutes les prérogatives dont les sujets du Sultan étaient privés. Mais c’est surtout en Macédoine que les officiers se trouvaient en contact avec des étrangers de plus en plus nombreux. « Agens civils » russe et autrichien ; « conseillers financiers » anglais, français, allemand, italien, chacun avec leurs secrétaires et leurs drogmans ; « général et officiers réorganisateurs de la gendarmerie, » c’est tout un nombreux personnel européen qui, dans les trois vilayets de Macédoine, contrôle toutes les branches de l’administration et du gouvernement. Des officiers autrichiens, russes, français, anglais, italiens, séjournent jusque dans les petites villes de la Macédoine ; un major allemand dirige l’école de gendarmerie ; leur autorité, si limitée qu’elle soit, leur donne cependant en pratique le droit de commander à des officiers ottomans, et surtout, ils sont des témoins gênans dont la présence ajoute, aux souffrances de l’armée turque, l’humiliation de les savoir connues. Tout ce personnel des « réformes » n’a pas suffi à pacifier le pays ni à y faire régner l’ordre, mais sa présence blesse et irrite au plus haut point le patriotisme ombrageux des Jeunes Turcs ; ils disent que l’absolutisme hamidien, tyrannique au dedans, est faible et pusillanime en face des étrangers, auxquels, si l’on n’y met ordre, il aura bientôt, morceau par morceau, livré tout l’Empire.

Les chancelleries européennes, durant le printemps et l’été de cette année, se sont mises d’accord sur la nécessité d’aboutir