Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 47.djvu/138

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ils en veulent faire eux-mêmes application à leur pays, et si leur programme est « la Turquie libre, » il est aussi « la Turquie aux Turcs. » Comme les Japonais, ils emprunteront aux peuples plus anciennement civilisés les armes et les outils, tout ce qu’il faudra pour pouvoir ensuite se passer d’eux ; ils s’européaniseront pour mieux rester eux-mêmes. C’est en ce sens que, autant qu’on en peut juger jusqu’ici, le mouvement actuel a des analogies avec la révolution de Meiji d’où est sorti le Japon moderne. Qui mesurera jamais l’influence que Port-Arthur, Moukden et Tsoushima ont pu exercer sur l’esprit public dans le pays des vaincus de Plevna et de Chipka ?

Par prudence et par esprit politique, le Comité Union et Progrès s’est efforcé d’atténuer, ou tout au moins de masquer le caractère d’intransigeance nationaliste du mouvement « jeune turc, » mais des incidens révélateurs sont déjà survenus. En plusieurs endroits, notamment dans le secteur russe, des officiers étrangers ont été avisés, sans menaces, qu’ils seraient bien inspirés en ne rejoignant pas leur poste ou en le quittant. A Serès, où le colonel français Baumann a rassemblé tous ses officiers, ils ont été acclamés, mais on leur a laissé entendre que l’on espérait bien n’avoir plus besoin désormais de leurs services. Déjà, dit-on, les officiers autrichiens auraient été rappelés ; le major allemand, qui était en congé, y reste. Enfin un incident plus significatif s’est produit le 12 juillet, s’il faut en croire une dépêche adressée au Berliner Tageblatt : comme le général Mussaffer-pacha, chargé d’étudier le tracé du nouveau chemin de fer du sandjak de Novi-Bazar, de Serajevo à Mitrovitza, voyageait entre Uskub et Salonique, il a été arraché de son wagon et couvert de crachats par des officiers ; les nationalistes considèrent toute collaboration à ce chemin de fer comme une trahison envers la patrie ottomane.

Aspirations libérales et aspirations nationalistes, la Constitution donne satisfaction aux unes comme aux autres : non seulement elle assure aux habitans de l’Empire ottoman les bénéfices des institutions représentatives et de la liberté politique, mais encore elle crée véritablement une Turquie nouvelle en abolissant toute distinction entre les habitans de l’Empire, quelle que soit la race ou la religion à laquelle ils appartiennent. C’est là le point capital qui donne à la Constitution de 1876, restaurée en 1908, toute son importance. Son article 8 dit expressément :