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« Tous les sujets de l’Empire sont indistinctement appelés Ottomans, quelle que soit la religion qu’ils professent. »

Et l’article 17 ajoute :

« Tous les Ottomans sont égaux devant la loi. Ils ont les mêmes droits et les mêmes devoirs envers le pays, sans préjudice de ce qui concerne la religion. »

La Constitution biffe d’un seul coup cinq siècles d’histoire ; elle fonde l’Etat ottoman sur un principe absolument nouveau. Le régime établi par Mahomet le Conquérant était fondé sur l’inégalité des vainqueurs et des vaincus : il faisait de l’organisation religieuse le cadre obligatoire de la vie nationale ; il reconnaissait pour chef de chaque communauté ou « nation » son pasteur religieux ; les Musulmans devaient le service militaire et ne payaient que les taxes prescrites par le Coran ; les non-musulmans ou rayas payaient des impôts spéciaux et ne faisaient pas de service militaire ; ainsi la dissemblance, le privilège étaient partout, l’égalité nulle part. De ces communautés juxtaposées, mais sans autres liens entre elles qu’une commune obéissance au padischah, la Constitution fait une nation de citoyens ; elle apporte dans l’Empire ottoman un idéal nouveau, un idéal unitaire et égalitaire, importé d’Occident, qui est en contradiction formelle avec tous les principes sur lesquels était fondée son organisation et sur lesquels il avait vécu jusqu’ici, en dépit des tentatives libérales de 1839, de 1836 et de 1876.

Il faut bien voir, — pour comprendre toutes les conséquences politiques que doit amener l’introduction du régime nouveau dans l’Empire ottoman, — que toutes les interventions des puissances européennes en Turquie, celles notamment de la Russie et de l’Autriche, se sont produites pour protéger les chrétiens de l’Empire et leur assurer des droits. Ces interventions ont été souvent justifiées ; parfois aussi l’oppression des chrétiens n’a été qu’un prétexte à des guerres de conquête. Dans l’ensemble, c’est grâce aux interventions militaires ou diplomatiques des puissances européennes que les communautés chrétiennes ont obtenu une situation meilleure et des garanties plus effectives que le bon vouloir du vainqueur. Les Jeunes Turcs ont l’ambition d’épargner à leur patrie l’ingérence humiliante des étrangers. dans ses affaires intérieures en la rendant inutile et en lui enlevant tout prétexte à se produire. Le jour où tous les sujets du Sultan seront égaux en droits et en devoirs, égaux devant une