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ingénieuses, inventées à cet effet. C’est ainsi que, voulant peindre Napoléon Ier cheminant à la tête de ses troupes pendant la retraite de Russie, Meissonier s’était procuré un cheval marchant à l’amble, comme ceux que l’Empereur montait d’habitude, et à côté d’une piste établie dans sa propriété de Poissy, il faisait construire un petit chemin de fer, le long duquel, installé lui-même sur un siège et poussé parallèlement à la piste, avec une vitesse pareille, il pouvait, en conservant toujours la même distance, noter les mouvemens successifs de la bête et du cavalier. Si, portés à ce point, les scrupules du peintre pouvaient sembler exagérés, ils avaient du moins pour effet de lui procurer une sécurité qu’il jugeait nécessaire à son travail. C’est instruit par une série d’observations intelligemment imaginées à cet effet, que Meissonier, pendant longtemps cantonné dans les sujets les plus simples et les plus calmes, parvenait, à la fin de sa vie, à aborder les données les plus mouvementées et les plus dramatiques, ainsi qu’il l’a fait dans sa Revue d’Austerlitz.

Un de mes amis, Aimé de Lemud, qui, vivant en Lorraine, à l’écart, s’est dérobé obstinément à la réputation qu’il méritait et n’a pas donné toute sa mesure[1], apportait, dans la préparation de ses œuvres, les mêmes exigences de vérité et de conscience. Longtemps occupé d’un Galilée observant les astres, qu’il se proposait de graver comme pendant à son Beethoven, excellant d’ailleurs aussi bien dans la pratique de la sculpture que dans celle du dessin, il avait modelé en argile le groupe des étudians entourant Galilée sur la petite plate-forme de l’Observatoire où ils étaient réunis, perdus comme lui dans la contemplation du ciel étoile. Cette maquette, non seulement lui avait permis de se rendre un compte exact de la position respective des personnages figurant dans la scène, mais en l’exposant aux rayons de la lune, il avait pu à la fois étudier l’heure la plus favorable à l’effet et noter, avec leurs valeurs, la répartition des ombres et des lumières qui pouvait le mieux servir à la réalisation de son

  1. D’une modestie ombrageuse, Lemud n’a jamais consenti à sortir d’une retraite et d’une obscurité qui, avant tout, lui étaient chères. C’est en consultant son œuvre complet réuni au Cabinet des estampes par le comte H. Delaborde et Georges Duplessis, successivement conservateurs de ce précieux dépôt, qu’on peut, d’après des lithographies comme Hélène Adelsfreid, Maître Wolframb, le Retour des cendres de l’Empereur ; d’après des compositions telles que celles faites pour les Chansons de Béranger ; et d’après la gravure du Beethoven, conçue et exécutée par lui, qu’on peut, dis-je, se faire une idée de la haute valeur d’un tel artiste.