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doit la reproduire telle qu’elle est devant lui. Son appareil est son maître ; il s’est substitué à sa personnalité. Mettez vingt photographes munis d’appareils identiques en présence d’un motif pareil, les vingt photographies obtenues seront elles-mêmes identiques. Qu’il s’agisse, au contraire, de vingt artistes, leurs vingt figurations seront différentes. Chacune d’elles exprimera en quelque manière l’individualité de son auteur, manifestera ses dons, ses qualités acquises, la part d’intelligence, de volonté et de talent qui lui appartient. L’un s’y montre timide, l’autre ardent et audacieux ; tel voit surtout les ensembles, tel autre les détails ; chez celui-ci, le dessin est correct, mais froid, insignifiant ; celui-là, à travers ses gaucheries, laisse découvrir des éclairs de génie ; tous ont la dose d’originalité qui leur est propre.

Pour des mouvemens lents, ceux d’un homme en marche, par exemple, la photographie instantanée donne des résultats relativement utilisables et logiques ; il n’en est pas de même pour des mouvemens brusques et rapides. Examinons, en effet, une série d’épreuves exécutées d’après les diverses phases du saut en avant : au début, les attitudes du corps penché pour l’élan initial annoncent franchement l’action ; mais déjà, vers le milieu de la course, le torse devient vertical et, à la fin du trajet, pour faire contrepoids, le corps et les bras sont rejetés en arrière, sans quoi, sous la forte poussée de la projection, le visage du sauteur irait forcément donner en terre. Entre ces trois étapes, on peut remarquer une série de positions intermédiaires, instructives au point de vue scientifique, puisque toutes sont motivées, mais très inégalement expressives au point de vue esthétique, les attitudes du début étant comme démenties par celles de la fin qui reproduisent inversement les premières, et par conséquent semblent indiquer une action absolument contraire. Encore ici, les observations, plus simples pour l’étude des mouvemens de l’homme, sont évidemment aussi plus faciles que pour ceux du cheval qui, dans des allures vives, comme le trot et le galop, présente des conditions d’équilibre plus compliquées, que notre œil a peine à percevoir et que la photographie instantanée enregistre très clairement. L’étrangeté de certains mouvemens qu’elle nous révèle déroute toutes nos habitudes et nous semble tout à fait invraisemblable. Supposons, en effet, une troupe de cavaliers décrivant vivement une courbe autour d’un axe. Les montures de ceux de ces cavaliers