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travail véritablement efficace que celui auquel il apporte toutes ses forces vives. Même pour se maintenir à un certain niveau, il est nécessaire qu’il peine et, s’il n’avance pas, il recule.

Faite par des hommes et pour des hommes, la peinture n’est pas l’art de ce qui est, mais de ce qui paraît. Elle s’inspire des réalités existantes, elle ne les crée pas : elle est à la fois quelque chose de moins et aussi quelque chose de plus que la nature, puisqu’elle ne saurait jamais la contenir tout entière, mais qu’elle se propose, dans les images qu’elle nous offre, d’en dégager les traits essentiels, d’en manifester la beauté, d’éveiller en nous les mystérieuses consonances de l’univers avec notre être intime. Comme l’a dit Newman, en effet, « la nature n’est pas sans âme : sa tâche quotidienne respire l’intelligence ; elle obéit à des ordres reçus. » Nous ne voyons pas cette âme qui sourdement agit sans relâche dans l’univers ; mais à certains momens privilégiés sa beauté rayonne ; elle nous émeut, elle laisse en nous des impressions ineffaçables. Jusque dans ses écarts extrêmes et dans les aspects qui nous semblent les plus incohérens, les lois qui la régissent sont impérieuses. Ce n’est pas au hasard que les nuages naissent, croissent ou se dissipent dans l’immensité du ciel. Leur répartition, leurs formes variées, leurs colorations, leur éclairage sont réglés par des lois. De même, en présence de la mer furieusement soulevée par la tempête, vous pourriez croire que les vagues dressées les unes contre les autres se heurtent, se brisent dans une confusion inexprimable. Et cependant, pour qui sait voir, un ordre et un rythme formels président à ce tumulte des élémens déchaînés. Le peintre qui n’aurait pas su en découvrir la logique cachée, au lieu d’émouvoir le public, n’arriverait qu’à le froisser par des images dépourvues à la fois de pondération et de mesure.

De notre délicatesse morale et de la liberté d’esprit qu’elle nous procure dépendent la fraîcheur et la force de nos impressions en face de la nature. Si parfois ses plus beaux spectacles nous laissent indifférens, parfois, au contraire, ses aspects les plus modestes nous révèlent des beautés auprès desquelles nous étions souvent passés sans les découvrir. C’est à maintenir en lui cet équilibre, cette finesse de sensibilité, cette possession entière de soi-même que l’artiste doit s’appliquer, pour se mettre en valeur, pour voir beau, pour obtenir les confidences que la nature réserve à ses fidèles, à ceux qui, en sachant tout le prix,