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la diplomatie européenne ne pouvait ni l’ignorer, ni s’en désintéresser. Alors ont été pris, entre la France et l’Angleterre, des arrangemens qu’il suffit de rappeler. Bientôt l’Allemagne est entrée à son tour dans les affaires marocaines, et une véritable tempête s’est déchaînée sur le pays. Le Sultan est devenu le jouet des événemens : il ne s’est pas plus appartenu que le liège sur un tourbillon. Voyant, ou croyant voir une menace du côté de la France, il s’est jeté entre les bras de l’Allemagne. Qu’il nous soit permis de dire, au moment où on accuse la France de l’avoir compromis et abandonné, que l’Allemagne a encore bien mieux mérité ce reproche. Le Sultan n’a été dans son jeu qu’une carte qu’elle a rejetée dès qu’elle a cru ne plus en avoir besoin. Quant à la France, elle a mérité plutôt le reproche contraire, et nous l’avons quelquefois adressé à notre gouvernement. S’il a compromis le Sultan, il n’a pas été bien loin de se compromettre avec lui, et il a fait tout ce qui était en son pouvoir pour le sauver. Malheureusement, ce sauvetage était impossible. On disait autrefois : Aide-toi, le ciel t’aidera. Le Sultan ne s’est pas aidé lui-même ; il s’est abandonné tout le premier, et la suprême tentative qu’il a faite, avec une mehalla composée de morceaux disparates, hétérogènes, sans lien ni cohésion entre eux, ne pouvait pas tromper la fortune qui n’aide que les vrais audacieux. Elle n’était qu’un coup de désespoir d’un joueur aux abois. C’est parce que nous en avions l’impression très vive que nous avons toujours demandé à notre gouvernement de ne pas s’engager dans les affaires intérieures du Maroc, et que nous n’avons pas cessé de prêcher la neutralité entre les deux prétendans. Nos coloniaux avaient une autre politique, qu’ils défendaient avec leur ardeur accoutumée. Il semble que, dans plus d’un cas, le gouvernement ait hésité entre l’une et l’autre, ce qui est le plus sûr moyen de réunir les inconvéniens de toutes les deux. En fin de compte, il a pris le bon parti, et n’a suffisamment respecté les promesses de neutralité qu’il avait multipliées devant les Chambres. Il ne s’en repent sans doute pas aujourd’hui que l’impuissance radicale d’Abd-el-Aziz a éclaté à tous les yeux. Pour faire triompher sa cause, il aurait fallu le soutenir non seulement politiquement et financièrement, mais encore militairement. Il aurait fallu le reconduire à Fez où il était incapable de revenir par ses propres moyens. Après l’y avoir ramené, il aurait fallu l’y maintenir par une action énergique et ininterrompue. Nous aurions eu tout le Maroc contre nous, avec violence, avec fanatisme : il aurait fallu le soumettre par la force, c’est-à-dire en faire la conquête. N’ayant l’intention, ni de conquérir le Maroc, ni même d’y