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et de tant de maux. Toutes les routes de Constantinople s’ouvraient à la fois. En même temps, la Grèce prenait part aux hostilités, et son armée entrait en Thessalie.

La Turquie, qui avait compté, jusqu’à la fin, sur une intervention militaire des puissances et notamment de l’Angleterre, était à la discrétion de l’ennemi. Le sultan demande un armistice. Le grand-duc Nicolas ne consent à négocier que si l’armistice pose les bases des préliminaires de la paix. La marche en avant des Russes se précipite. Il s’agit de mettre les diplomates en présence de faits accomplis. Dès le 15 décembre 1877, lord Derby avait fait savoir par écrit, au comte Schouwaloff, que l’Angleterre s’opposerait à l’entrée des troupes russes à Constantinople. Gourko poursuit ses succès malgré l’ouverture des négociations : après une bataille de trois journées, il écrase l’armée de Suleyman pacha, dernière ressource du sultan, à Philippopoli (15 janvier).

Mehemet-Ali ne songe même pas à défendre Andrinople puissamment fortifiée. Il s’enfuit. Le 20 janvier, le colonel Stroukoff entre dans la ville, à la tête d’un détachement de cavalerie. « La panique était telle que les chefs turcs avaient renoncé à toute résistance ; ils ne songeaient qu’à sauver leur vie. »

Toute l’armée russe se forme en pointe pour fondre, d’un commun élan, sur Andrinople. Cette fois, le triomphe est irrésistible.


L’avant-garde fait en seize jours, à travers la neige et la boue, et tout en se battant, une marche de 350 kilomètres. Les pertes étaient immenses. Sur 5 000 hommes qui étaient partis de Sofia, 2 500 à peine arrivèrent à Andrinople sans chaussures et sans uniforme.


Le 31 janvier, jour où l’armistice fut signé à Andrinople, les armées russes couvraient les approches de la capitale turque, de Rodosto à Silivri. Cette marche triomphale remplissait de joie et d’orgueil la Russie qui, un instant, avait tremblé pour sa puissance et pour sa grandeur.

Maintenant, les soldats passaient la main aux diplomates.

Ces épreuves, ces sacrifices énormes[1], tout cela serait-il en pure perte ? Quelqu’un tenterait-il d’arracher au vainqueur sa

  1. On évalue la mortalité des armées russes, pendant cette guerre, à 80 000 hommes.