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On demanderait au prince de Bismarck de prendre l’initiative de réunir le Congrès, sous la formule suivante : « Chacune des deux puissances, en acceptant le Congrès, se déclare, par là même, prête à discuter tous les points du traité de San-Stefano. »

Le comte Schouwaloff, dans ses Souvenirs inédits, critique spirituellement le point de vue anglais :


Dès le début de nos pourparlers, dit-il, je remarquai que l’objectif principal de l’Angleterre était la séparation de la Bulgarie en deux, avec la ligne des Balkans laissée au Sultan, afin de se défendre contre nos agressions futures. Quelque grave que paraissaient le changement de frontière en Asie Mineure et l’abandon à la Russie de Kars, mais surtout de Batoum, la question des Balkans primait toutes les autres aux yeux du cabinet britannique. C’était là une faute que commettaient lord Salisbury et lord Beaconsfield. Il était évident que la séparation de la Bulgarie du Nord de celle du Sud ne pouvait être que factice, même avec la défense des Balkans entre les mains des Turcs, et je me rappelle avoir proposé à lord Salisbury, lorsqu’il cherchait des dénominations pour ces deux Bulgaries, d’en appeler l’une la Bulgarie satisfaite, l’autre la Bulgarie mécontente.


Les événemens se chargèrent, en effet, de réduire bientôt à néant cette combinaison des diplomates britanniques.

L’accord une fois conclu secrètement entre la Russie et l’Angleterre, l’ambassadeur quitte Londres et se rend droit à Friederichsruhe :


Le chancelier fut très surpris lorsque je le mis au courant de mes arrangemens avec les ministres anglais. Il se montra, de prime abord, fort préoccupé de ce que nous avions négocié avec l’Angleterre au lieu de traiter avec l’Autriche, ce qui avait particulièrement l’air de lui déplaire. Je répondis au prince qu’il était de notre intérêt évident de négocier avec celle des puissances qui était la plus disposée à nous déclarer la guerre, celle dont les flottes étaient toutes prêtes. De plus, ce n’était pas l’Autriche, mais bien l’Angleterre qui nous contestait la possession de Kars et de Batoum. Or, le sentiment public, en Russie, se prononçait pour l’annexion de ces deux points avec autant d’ardeur, qu’il avait, en 1870, réclamé, en Allemagne, l’annexion de l’Alsace. Le prince de Bismarck se montra excessivement surpris aussi en apprenant que l’Angleterre consentait à nous céder Kars et Batoum ; il ne trouvait pas, avec raison, que cette concession pût s’accorder avec le langage et les déclarations de lord Salisbury, depuis qu’il avait pris le portefeuille des Affaires étrangères. Le prince crut même à un malentendu ; je dus, pour le convaincre, lui relire deux fois les notes que j’avais prises pendant mon entretien avec le foreign secretary. Le prince, qui était malade, se leva, agité, fit quelques pas et me dit : « — Eh bien ! dans ce cas, vous avez eu raison de négocier avec l’Angleterre. Elle vous aurait fait la guerre toute seule, tandis que l’Autriche ne vous l’aurait déclarée qu’avec des alliés... »