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qu’un orateur de la même « famille d’esprits » se présente pour recueillir leur succession. C’est l’entrée en scène de M. de Lamartine.

Dans cette première session, Lamartine devait prendre plusieurs fois la parole : en février, sur la Vendée, pour s’opposer à des mesures d’exception ; le 13 mars, sur la loi contre les Associations ; le 8 mai, sur l’Instruction publique, pour protester contre une réduction de crédits et réclamer la diffusion de « l’instruction et de la moralisation publiques ; » enfin contre la peine de mort. On trouvera la trace de ces premières luttes politiques dans les lettres que Lamartine adresse à son beau-frère et où se dessinent en traits déjà si lisibles les visées lointaines du futur homme d’Etat.


17 janvier 1834, vendredi[1].

Je vous remercie, mon cher ami, de tout ce que vous avez fait et si bien fait avec le zèle d’une affection loyale et courageuse. Mais c’est bien pis ici ; et vous ne pouvez vous figurer toutes les injures et calomnies débitées et accréditées jusqu’à nouvel ordre. Comme cela doit être et sera plus encore dans quelque temps où tous les partis réuniront leur colère en faisceau, je ne m’en inquiète pas et je vais aller mon chemin à travers ces clameurs. J’ai la conscience de les surmonter plus tard et elles sont nécessaires à mon plan de conduite. Je ne réponds rien. Je suis tranquille sur la justification à venir qui sortira peu à peu des paroles et des faits. Il est nécessaire, à mon avis, de défaire avec énergie et dévouement ce que le royalisme absurde a fait depuis trois ans. Il est fourvoyé, il est dans un cul-de-sac. Faisons de la raison, et, dans deux ans, nous aurons notre force dans le dégoût de ce parti dupé et dans la conscience du pays. Pour cela il faut être impopulaire, bouc émissaire, deux ans : j’en ai le courage. Dieu m’en donne le talent et la force physique !

Adieu. Aimez-moi. Je n’ai pas de colère contre Virieu : une pareille amitié est au-dessus des opinions.

L.

Et moi aussi je vous remercie, mon cher frère : je m’attendais à des attaques, mais je ne croyais pas qu’elles puissent porter sur son désintéressement. Son caractère me paraissait au-dessus de toute attaque. Patience ! Je ne m’attendais pas non plus que dans ma solitude, mon deuil et mes larmes éternelles, mon nom serait associé aux calomnies politiques. Mais cela m’est égal. Ce que je savais très bien, c’est que, dans toutes les luttes, ma part serait de souffrir, car mon cœur est à jamais fermé aux jouissances ; le plus grand triomphe ne pourrait l’épanouir, tandis que

  1. A M. de Montherot, rue Sala, n* 11, Lyon.