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23 (?) août.

Je t’envoie un mot de Rocher que je reçois ce matin pour te faire bien comprendre que l’effet de mon discours d’hier n’est pas dans mon imagination... M. de Noailles est là et tout le monde vient me complimenter. J’ai une migraine, mais plus de mal à la gorge...

Le soir. Je rouvre ma lettre pour te dire que j’ai vu cinquante personnes et reçu cinquante lettres aujourd’hui. J’ai été à la Chambre. c’est un enthousiasme tel que je n’en ai vu pour aucun discours. Je connais plusieurs pères de famille dont les enfans ont passé la journée à copier mon discours pour le conserver comme classique. Et l’opinion commence à être que je pourrais bien être éloquent. En masse il m’est évident que cela sera demain le plus beau morceau qui ait été prononcé depuis juillet. Voilà les reviremens d’esprits. C’est un délire dans la jeunesse honnête, et le peu que j’ai dit et dans le discours et dans la Chambre a tellement frappé l’opinion qu’ils reculent déjà sur les cautionnemens qui tuent toute bonne presse. Il y a eu réunion pour délibérer le retrait. Sauzet a été écrasé de mes paroles directes à lui, et tout le monde le plaint.

Tâche qu’il y ait un mot de cet immense effet oratoire, au moins dans le Journal de Mâcon. M. de Jussieu s’y prêtera et cela est nécessaire pour que les électeurs ne croient pas, sur la foi de la Minerve, que leur député est impuissant.


26 août 1835.

Hier j’ai eu une violente dispute avec Thiers que l’effet de mon discours dans les départemens écrase. Cela a été très vif. « Nous savons, s’est-il écrié, que vous avez de grands talens et de la vertu. Mais nous savons aussi que vous avez une grande ambition. Preniez garde à ce qu’elle vous fera faire. — Oui, lui ai-je répondu, j’ai en effet une grande ambition, c’est celle de ne jamais faire des démarches politiques comme celles que vous faites faire en ce moment au gouvernement. »

J’ai dîné ce matin chez le président de la Chambre. Je pense que nous pourrons partir mardi prochain, 2 ou 3 septembre. Demain je dîne chez M. Lainé avec les Aimé Martin qui ne sont guères contens de mon discours, car ce qui place dans l’opposition ne leur convient pas.

La maison ne désemplit pas de visiteurs et de députations de tous les théâtres, journaux, etc.


Que d’ingénuité dans cet empressement à se parer des hommages reçus ! Cette candeur désarme. Toutefois, on ne peut, sans une certaine d’inquiétude, voir chez Lamartine une préoccupation aussi excessive de l’effet qu’il a produit. De bonne foi, il croit ne se soucier que du « résultat » obtenu pour le triomphe d’une idée ; en fait, il compte les mains tendues vers lui, il note les applaudissemens qui vont à sa personne. Cela est bien dangereux.