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serait pas à mépriser. » Au lieu de cela, que vous dit-on ? Armez pour le statu quo, unissez vos flottes à celles des Anglais. Pourquoi ? Pour maintenir la Turquie d’Europe sous la main de la Russie, la Turquie d’Asie sous le sabre d’Ibrahim ; pour maintenir l’asservissement de la Méditerranée à l’Angleterre. — Expliquons-nous franchement ! On nous fait peur de la Russie et de ses 60 millions de sujets. « Mais le temps n’a pas eu sa part dans la formation de la Russie ; le bronze a coulé trop vite : il s’est mêlé au sable, la statue se brisera... » La Russie ne peut déborder en Occident : son débordement en Asie serait funeste, si elle l’opérait malgré vous ; si elle l’opère avec vous, ce fait serait le plus heureux pour l’humanité. La France a une triple nature. « Elle est puissance maritime, puissance continentale, puissance révolutionnaire. (Mouvement.) J’entends ici le mot révolutionnaire dans son sens légitime, dans son acception conservatrice. (On rit.) » Ne trahissons pas l’Angleterre ; mais aussi ne soyons ni russes ni anglais ! Le système de la France doit être le système européen, occidental : l’équilibre maintenu avec l’aide de l’Autriche en Orient. Donc un congrès ; ou, sinon, prenez immédiatement en Orient une de ces positions militaires et maritimes d’où vous puissiez dominer la négociation ou les événemens. Souvenez-vous d’Ancône ! — Aussi bien la tribune ne comporte pas une diplomatie au grand jour dans des questions si vives. Certains s’inquiètent de voir éclater la question d’Orient : il n’est pas un révolutionnaire, mais, pour lui, le premier coup de canon qui retentira sur l’Euphrate sera le tocsin qui appellera de nombreuses populations à la liberté et à la vie. Et ne pourrait-il pas leur demander : Etes-vous donc si tranquilles sur votre situation intérieure que vous craignez tant qu’on la remue ? Mais regardez autour de vous ! Dans quelle situation sans issue nous retournons-nous ? Quelles montagnes de difficultés ajournées !... A tout cela il y a un remède : un soudain et hardi déplacement des questions mal posées, une puissante diversion nationale. Nous manquons d’air !... »

Ce discours, s’il est un des plus chimériques, est aussi l’un des plus éloquens que Lamartine ait prononcés. Large ordonnance, disposition harmonieuse, argumentation serrée, clarté et éclat du langage, rien n’y manque. Or voici les notes que Lamartine avait apportées à la tribune, consignées sur une feuille simple et disposées de la façon qu’on trouvera ici reproduite exactement