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Paris, 25 avril 1837.

Tout va pitoyablement, mais moins mal, depuis que la platitude du nouveau ministère répond mieux à la platitude du pays. Rien n’annonce un mouvement ni ici, ni, dit-on, maintenant chez vous. Dieu en soit béni ! Car que de malheurs privés dans une conflagration générale ! Que d’œufs cassés quand la Providence secoue le panier !...

Ma place parlementaire s’élargit infiniment. J’en juge par les infatigables efforts que font tous les partis pour m’avoir à tout prix. Il n’y a rien que les uns et les autres ne m’aient présenté.

Voici ma pensée : Il ne faut entrer au pouvoir que par la force d’une idée victorieuse et incarnée en vous et par la force d’une circonstance qui ne laisse pas même le droit de délibérer. Si ces deux conditions jamais se présentent, oui. Mais il faut pour cela que la question de juillet, question d’honneur pour nous, soit foulée à cent pieds sous terre et tellement disparue qu’on n’y pense plus. Je n’y tiens pas du reste le moins du monde : vie de galérien, existence passée au pilori, voilà le pouvoir en ce temps-ci.

Je vois assez de monde de tous les partis, hormis les Jacobins de gauche. J’aime mieux l’abbé de Lamennais et ses républicains. Les légitimistes sont plus fous que jamais. On n’a pas idée des propos de Genoude et de ses amis. Charenton n’entend rien de mieux... La Quotidienne dit, ce matin : « Quelle pitié qu’un homme comme M. de Lamartine ose essayer de parler contre un homme comme M. Thiers ! » La Gazette n’a plus de héros non plus que MM. Thiers, Laffitte et Cormenin. Quelle pitié qu’un parti assez lâche pour insulter tous ses amis et n’honorer que ses ennemis !... Notez que Thiers les a couverts d’injures à la Restauration.


On aura noté le passage si net où Lamartine formule les conditions dans lesquelles le pouvoir lui parait souhaitable, ou du moins acceptable. En attendant, et plutôt que de jouer un rôle médiocre dans les pièces parlementaires, il préfère rester le ministre sans portefeuille de l’opinion. Que d’ailleurs une occasion se présente piquant au jeu sa nature chevaleresque, il se détournera de sa propre ligne pour se porter au secours de la cause déloyalement attaquée. La coalition, formée contre le ministère Mole, le fit ministériel. « Rester indépendant du gouvernement que l’on sert, protéger la couronne comme une valeur abstraite du régime constitutionnel, sans l’aimer et sans jamais paraître à la Cour... je me laissai séduire par ce rôle[1]. » Un rôle « héroïque, » c’est le seul qui lui agrée.

  1. Lamartine par lui-même, p. 365.