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aussi facilement accessible, Un chemin de fer à crémaillère vous fait gravir, sans trop de cahots, les pentes roides du Liban et vous dépose, au bout de quelques heures, sur une petite place poudreuse, toute grouillante de cochers et de pisteurs d’hôtel : on entre en fiacre dans la ville des Omméades. Le pèlerin lui-même, le pèlerin du Saint-Sépulcre, n’a plus grand mérite à visiter les Lieux saints. Il est bien tranquille en débarquant : parti de Jaffa par le train de midi, il sait que, pour cinq heures, il prendra le thé, à Jérusalem, dans le hall de l’Hôtel du Parc.

Mais voici le revers de la médaille : tout le temps que dure le voyage, grâce aux chemins de fer et aux paquebots, — on sort à peine de l’atmosphère européenne et « civilisée. » Les hôtels et les agences, qui s’emparent de vous au débarquer, achèvent de vous séquestrer dans vos mœurs à vous, de vous isoler en quelque sorte du milieu ambiant. On n’a point à y changer ses habitudes, sa nourriture, son hygiène. On y coudoie les mêmes gens qu’à Nice ou à Aix-les-Bains. Les types sont prévus, les conversations aussi. Le mobilier, comme le menu des repas, est désespérément pareil dans tous ces modernes caravansérails. Leurs interprètes vous épargnent la peine d’entrer en contact avec les gens du pays. Il n’est pas jusqu’à vos sorties, jusqu’à vos divertissemens qui ne soient réglés d’avance, — et cela sans le moindre souci de vos préférences personnelles. Les agences auxquelles vous vous confiez y ont mis bon ordre. Quand vous arrivez dans quelque localité de la Haute-Egypte, le manager de votre hôtel sait à quelle heure vous visiterez les ruines, à quelle heure, les bazars indigènes ou les dames galantes. On ne vous consulte pas : les provisions sont prêtes pour l’excursion, emballées dans des couffins, — et l’on y retrouve invariablement les mêmes victuailles, — d’Alexandrie à Kartoum, — d’Athènes à Patras, — de Jérusalem à Balbek, — à savoir : deux œufs durs, une cuisse de poulet desséchée, une tranche de rosbif coriace, une croûte de fromage et deux oranges, — sans oublier le poivre el le sel roulés dans de petits cornets de papier. C’est immuable comme une institution.

Des ânes fringans piaffent à la porte de l’établissement. Quelles que soient vos répugnances, il les faut enfourcher. Vous voilà parti pour les nécropoles et les sanctuaires... Vous vous imaginez peut-être que vous serez libre de choisir votre itinéraire, de vous arrêter ici ou là ? Point ! Les guides ont leurs