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Dans le ciel, presque incolore à la limite des terres, à peine azuré vers les hauteurs, la lune monte, — une l’une d’or, une lune épanouie comme un fruit féerique, — et si étrange, si extraordinairement belle, en sa calme ascension, qu’elle inquiète à la façon d’un prodige... Silence, immobilité, pénombre douce... Une fumée laiteuse, nuancée de lilas, se tient toute droite au-dessus de la brèche rocheuse, où passaient autrefois les caravanes...

De l’autre côté, un cimetière, à perte de vue, toute une cité funèbre avec ses tombes, ses maisons peintes de couleurs claires, comme les maisons des vivans. Par les fenêtres grillées, on aperçoit les chambres garnies de divans, de tapis et de tentures, où se réunissent, pour banqueter, les familles des défunts. Des lanternes sont pendues au mur, à droite et à gauche des portes cochères. On dirait qu’on attend quelqu’un, que des voitures vont arriver... Mais les rues du cimetière sont vides. Personne ! ... De loin en loin, un chien se sauve entre les stèles des sépulcres indigens, un volet poussé par un souffle de brise tourne lentement sur ses gonds. Des odeurs de cadavre s’exhalent par les fissures du sol. Çà et là, des crânes, des ossemens luisent sur de grosses pierres...

Et puis on escalade un monticule fait de gravats et de poussières humaines, et l’immense ville des vivans se déploie sous vos pieds, avec ses minarets et ses dômes, jusqu’au miroitement lointain du Nil. Tout ce qu’on espérait, tout ce qu’on avait imaginé est dépassé en cette minute. C’est la ville de rêve qu’on entrevoyait confusément à travers les récits merveilleux des conteurs arabes. On ne peut plus s’en aller, on voudrait fixer à jamais au fond de sa mémoire ce profil de cité rose et bleue, qui se découpe en arêtes lumineuses sur le poudroiement vermeil de l’espace. Et l’on s’évertue à tout embrasser de ce prodigieux horizon : la roche purpurine comme une conque géante, les mosquées funéraires avec leurs coupoles de vermeil, le désert livide étalé sous la lune, et la ville silencieuse des morts endormie à côté de la ville bruyante et fumante de labeur !...

Rien ne bouge, tout est figé dans l’outremer et les ors du couchant comme une enluminure de manuscrit persan. La vision est tellement splendide, qu’on n’ose pas y croire tout à fait. Pourtant, cette chimère est réelle. La vie palpite et chante tout près de vous !... Voici deux jeunes gens qui surgissent, les