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d’où il passa président, puis chancelier de France. Ces perspectives d’honneur comportaient aussi des profits : lorsqu’en 1510. Jean Le Lièvre était nommé par Louis XII avocat-clerc en Parlement, aux gages de 11 500 francs, il se trouvait par là même gratifié d’un traitement supérieur à tout ce qu’un avocat indépendant pouvait gagner, et il n’aliénait pourtant pas son indépendance, puisque les magistrats du parquet avaient, sous l’ancien régime, le droit de plaider pour les particuliers, si bon leur semblait, pourvu que la couronne ne fût point partie en la cause.

Dès le règne de Henri IV, il ne se voit plus d’avocats arrivés par le barreau ; il ne s’en voit même plus un seul, jusqu’aux années qui précèdent la Révolution, dont l’histoire ait gardé le souvenir ; puisque Lemaître ou Patru sont uniquement connus de nous, le premier comme neveu du grand Arnauld, intimement mêlé aux querelles de Port-Royal, le second en qualité d’hommes de lettres, critique et grammairien. « Tout ce qu’il faut faire pour devenir riche me déplaît, » écrivait, au cardinal de Retz, Patru qui d’ailleurs mourut très pauvre. Mais se fût-il enrichi dans le métier oratoire, ce contemporain des Plaideurs ?

Singuliers orateurs étaient ces prédécesseurs de l’Intimé, dont les harangues indigestes, — luculentæ orationes, — garnies des citations les plus imprévues, nous apparaissent à distance si comiques après avoir excité l’enthousiasme de nos aïeux. Ecoutez l’avocat Salomon, membre de l’Académie française, où il avait été élu de préférence au grand Corneille, son concurrent en 1644, écoutez-le revendiquer pour le théologal du chapitre de Lyon le revenu disputé d’une prébende. Il fait, à propos de la discipline ecclésiastique, intervenir Aristote, l’âme du monde et l’harmonie universelle des êtres d’après les Platoniciens, parle de la position diverse des astres, de l’établissement de la religion dans les Gaules, retourne aux astres, empoigne les comètes, décrit leurs « embrasemens, » passe à la chute du démon et à ses causes, aux ravages de l’ambition parmi les hommes, aux guerres et aux querelles particulières, à des considérations sur la médecine, puis sur la noblesse : « Il faut s’arrêter, dit-il, à la contemplation de la nature, qui est la conformation de toutes les choses en leur premier principe ; » il annonce partir de là pour étudier les prébendes théologales, mais disserte au contraire sur Marc-Aurèle, le sang versé par cet empereur, la gloire des martyrs ; il s’étend sur Crescentius, disciple de saint Paul, Photins,