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Gerbier et par les 600 000 francs que ce maître aurait reçu d’un Canadien richissime, nommé Cadet, poursuivi comme concussionnaire et qu’il fit réhabiliter après une lutte de deux années. Je ne voudrais pas garantir la véracité du chiffre, bien que maintes fois cité. Il en est de plus vraisemblables : à la suite d’une plaidoirie importante où Gerbier avait fait triompher les intérêts du duc de Bourbon, il reçut, dit-on, de ce prince une tabatière en or contenant 4 000 francs. — « Ah ! s’exclama-t-il, il faut être riche comme lui pour payer aussi magnifiquement. »

De cet « aigle du barreau, » comme l’avaient surnommé ses contemporains, il subsiste des plaidoiries écrites ; elles nous apprennent combien l’éloquence judiciaire a changé. Cette rhétorique de confection, aux phrases imprécises, aux adjectifs sonores, ces morceaux à effets, tirés de loin par de longs détours, nous prouvent que le talent ne consiste pas à satisfaire les esprits de son temps, et que c’est même souvent le contraire. Gerbier savait, paraît-il, improviser un compliment « exquis » au souverain étranger qui visitait à l’improviste le Parlement. Au roi de Danemark, qui assiste à l’audience du haut de la « lanterne » du Premier président, il expose qu’auprès de la splendeur du palais de justice toutes les autres beautés de Paris sont puériles et vaines ; et s’animant : « Montez au Capitole, s’écrie-t-il, venez admirer ces augustes sénateurs, ce corps antique et vénéré... » Ce mouvement fut déclaré sublime ; les auditeurs, longtemps après, en étaient encore tout secoués.


IV

Les avocats d’aujourd’hui se mettent moins en frais d’« éloquence ; » leur parole est cependant plus coûteuse. Telle sommité du barreau actuel a touché maintes fois 20 000 francs sans en paraître surpris. C’est que les gros procès de nos jours roulent sur des chiffres naguère inconnus ; c’est surtout que, parmi les parties en présence, — sociétés anonymes ou simples particuliers, — il s’en trouve un bon nombre dont la richesse n’est pas comparable à celle des plaideurs du règne de Louis XVI. Nos grands avocats trouveraient infimes des honoraires dont leurs devanciers, sous Napoléon III, se contentaient et que l’on jugeait superbes, il y a cinquante ans, comparés au gain méprisable des avocats du XVIIIe siècle.