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exprimé. L’élite des connaisseurs était seule reconnue compétente pour se prononcer sur le mérite des productions lyriques : « Ils écoutaient en silence jusqu’au bout, dit Platon, ayant à la main une baguette qui suffisait à tenir en respect les enfans, leurs précepteurs et tout le peuple. » Bel exemple de discipline qui ne pouvait durer ; Platon n’était pas mort qu’au mépris des baguettes, le peuple ne se gênait déjà plus guère pour manifester quand l’envie lui en prenait.

Évidemment, bien des points restent obscurs dans ce lointain passé, soit que les écrits du temps les aient laissés dans l’ombre, soit que nous ayons perdu ceux qui nous eussent éclairés :

— Quelles sont les origines scientifiques de notre art ? Comment a commencé la musique, vocalement ou instrumentalement ? Par un cri de douleur, par un appel, une prière ? Mais qui dit chant dit tonalité, et d’où la tonalité aurait-elle pu naître sinon de l’accord de la lyre ou des harmoniques du roseau ?

— Pourquoi l’antiquité professe-t-elle une sorte de dédain pour « le plus beau, le plus souple, le plus expressif » des organes musicaux, la voix de femme ? Elle la relègue au gynécée, ne demandant les effets de puissance ou d’émotion qu’aux poumons masculins. Au théâtre, c’est un ténor qui tour à tour représente Hélène ou Iphigénie, Phèdre ou Alceste…

Que d’autres points d’interrogation encore ! Mais que le regret de ce qui nous échappe ne nous rende point indifférens au bien qui nous arrive. Ce bien est inestimable : ce sont des richesses inattendues qui s’offrent à nous, et il est difficile de comprendre l’indifférence relative de la critique en face des commentaires de Gevaert sur les Problèmes d’Aristote ; je me contenterai de signaler l’Appendice qui traite des genres, tons et modes de l’époque préarisloxénienne, exposés et analysés à l’aide de l’écriture musicale du temps, vraie merveille de divination et de clair savoir, intéressant non moins philologues que musiciens, littérateurs que compositeurs.


La Mélopée antique dans le chant de l’Église latine débute par une discussion sur le qualificatif grégorien attribué à l’Antiphonaire, c’est-à-dire à la collection des mélodies anciennes recueillies par le Christianisme[1].

  1. Cette discussion, d’abord tout historique, entre Gevaert et les Bénédictins s’est aggravée bientôt en déviant et s’en attaquant à l’art lui-même. À droite, avec Gevaert, se sont rangés tous ceux qui savent la musique ; à gauche, les Néo-Solesmiens qui, ne la sachant guère, voulaient nous l’apprendre. Leur Paléographie qui avait si bien commencé finit en cours d’aquarelle professé par des aveugles. Gardons-nous en tout cas de confondre Néo-Solesmiens et Bénédictins : félicitons le vénérable abbé de Saint-Wandrille, consciencieux et modeste archiviste, le docte Bénédictin Dom Pothier d’avoir triomphé de tous les obstacles et pu terminer enfin le grand travail heureusement à lui confié par Pie X, l’édition définitive du Graduale Romanum.