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Et ils sont encore prêts à répéter : « La loi de miracle est-elle votée, » comme les croisés de la première croisade demandaient à chaque ville qu’ils apercevaient : « N’est-ce pas enfin Jérusalem ? »

Cavour affirmait que les questions non résolues sont sans pitié pour le repos des peuples ? Parole plus fine que vraie, car les questions ne sont jamais résolues que d’une façon toute relative, elles renaissent d’elles-mêmes sous d’autres formes, et le repos des peuples ne dure pas longtemps ; ce ne sont que des accalmies entre deux tempêtes. La question de la viticulture ne sera pas résolue par l’effort loyal qu’ont tenté les Chambres ; ceux qui demandent la lune se contenteront-ils de réalités modestes ? En tout cas, la question vaut qu’on l’examine de près, et devant le budget de l’État, et devant le budget des citoyens français, et devant l’étranger, car nous avons les premiers vins du monde, comme nous avons les premiers artistes, sculpteurs, historiens, comme nous gardons la suprématie de la mode vis-à-vis de l’univers élégant, — et la concurrence mondiale nous menace, sinon la concurrence de la qualité, du moins la concurrence de la quantité et de l’imitation.

Notre production viticole, de 1863 à 1878, s’élève en moyenne au chiffre de 36 millions d’hectolitres ; 67 352 661 hectolitres en 1900 sur une production de 162 806 830 hectolitres dans le monde entier[1]. Ainsi la France fournit le quart ou le tiers du vin bu par les habitans de la terre ; ses vignobles occupent une surface de 1700 000 hectares environ, répartis sur 56 départemens, et l’on estime leur produit annuel 12 ou 1 500 millions, sur 10 milliards que rapporte le sol national ; 6 millions d’ouvriers, 1 500 000 propriétaires, vivent en partie par eux et pour eux ; ils consomment pour 300 millions d’engrais chimiques, au moins 200 millions d’instrumens agricoles, le rendement de l’impôt des boissons a dépassé 500 millions dans certaines années, les exportations en vins et eaux-de-vie devins atteignent 260 millions. Et ce n’est pas le lieu de dire les vertus toniques et réparatrices du vin de France qui fait penser, lui aussi ; de célébrer sa grâce et son esprit qui semblent avoir passé dans l’âme des habitans, et leur avoir communiqué une partie des

  1. 66 070 273 hectolitres en 1907. Mais les évaluations des années antérieures étaient inférieures à la réalité : les Commissions locales les atténuaient, dans l’espérance de prévenir ainsi l’avilissement des cours.