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également tricherie ; en tout cas, ils n’engendrent guère la prévoyance. Si quelques-uns firent comme la fourmi, la grande majorité imita la cigale : vendant leur vin 20, 25 et jusqu’à 26 francs l’hectolitre, récoltant par hectare 100, 150 et jusqu’à 200 hectolitres, les viticulteurs du Languedoc s’imaginèrent avoir trouvé le secret de la pierre philosophale, et la danse des écus commença. A Toulouse, Nîmes, Montpellier, le commerce de luxe ne vivait que par les bénéfices des vignerons ; la vigne, d’année en année, absorba toutes les terres fertiles ; on mit tous ses œufs dans le même panier, et l’on arriva au système si dangereux de la monoculture : plus de prairies naturelles ni de luzernes, plus d’olivettes, de céréales, d’élevage ; les garrigues défoncées, les sables du littoral utilisés eux-mêmes contre le phylloxéra. Cette terre méridionale semblait un rayon de soleil, et, toutes proportions gardées, il y eut une sorte de délire terrien comparable au délire de spéculation qui s’empara de la nation au temps de Law, ou à des époques plus rapprochées de nous. Des hectares de vignobles atteignirent le prix de 20 et 25 000 francs[1] ; les journaliers s’associèrent pour acquérir un lambeau de terrain, par exemple un dixième d’hectare ; la propriété, à force de se morceler, se pulvérisait. Déjà, en 1866, les rédacteurs de la Grande Enquête constataient que, depuis seize à dix-huit ans, le salaire des ouvriers agricoles avait augmenté d’un tiers à l’époque des travaux, d’un quart environ en saison morte : demande de travail toujours croissante, extension de la vigne, construction des chemins de fer, des maisons dans les villes, accroissement du luxe, du prix des denrées, voilà, disaient-ils, les causes de cet heureux phénomène.

« Toutes les qualités qui, remarque M. Augé-Laribé, faisaient

  1. Un hectare de vigne en pleine production à Coursan était payé 20 000 francs ; cet hectare donnait 200 hectolitres, qui, vendus à 15 francs l’un, formaient un revenu brut de 3 000 francs. Il y avait mille francs de frais de culture, auxquels on doit ajouter la part provenant de l’exploitation générale, l’entretien et amortissement du matériel, des bêtes de trait, de la vaisselle vinaire, des bâtimens qui peuvent s’estimer à 300 francs ; plus l’amortissement des frais de premier établissement, défoncement, plantations, greffage, 300 francs également, qui représentent par an un dixième de 3 000 francs, valeur approximative de la reconstitution totale. Ceci fait une dépense générale de 1 600 francs par hectare ; il restait un bénéfice net de 1 400 francs. Si on avait payé l’hectare 20 000 francs, l’intérêt à 4 p. 100, soit 800 francs, laissait un gain définitif de 600 francs. (Pierre Genieys, la Crise viticole, p. 40.)