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qu’un domestique, gages et nourriture, peut coûter 840 francs : économistes et propriétaires constatent avec regret que partout la folie de la dépense remplace la folie de la privation, que les domestiques ou gavaches (sobriquet méprisant que leur donnent les ouvriers du pays) commencent à se rapprocher des journaliers ; et partout aussi, aux anciennes relations si cordiales, si familiales d’autrefois, succède un état d’indifférence, sinon de méfiance entre les patrons et les serviteurs, qui se traduit par une sorte de paix armée, parfois même par un état d’hostilité avérée ; mais cet état d’âme existe surtout chez les journaliers, Il a des causes multiples : trop de maîtres n’ont pas rempli le devoir social, trop d’ouvriers ont écouté les suggestions de l’envie, trop d’ambitieux ont prêché à ceux-ci la haine, des droits sans devoirs et des plaisirs sans bonheur.

Les journaliers se divisent en deux catégories : gens du pays, étrangers. Ceux-ci, Espagnols ou Italiens, employés surtout à des travaux de terrassement, de curage des fossés, d’épandage d’engrais, qu’ils exécutent à forfait, à la tâche, très rudes à la besogne, très économes, nullement partisans de la grève, du chômage, fort appréciés par le propriétaire, et naturellement antipathiques aux ouvriers indigènes qui cherchent à les proscrire, du moins à les englober dans les syndicats rouges. La suppression des forfaits ne figure-t-elle pas au programme des revendications ouvrières ? Un certain nombre d’étrangers, ayant réussi à acheter un lopin de vigne dans le Minervois[1] et ailleurs, se fixent dans la contrée, et épousent les sentimens des indigènes.

Afin de vendanger rapidement, les pays viticoles font appel aux départemens voisins ; l’Hérault, à lui seul, emploie 80 000 auxiliaires ; 4 francs par jour pour les porteurs, 2 francs pour les coupeuses, c’est la moyenne. Souvent le propriétaire accorde certains avantages, le droit au vin et à une soupe, le remboursement des frais de déplacement ; les vendangeurs se nourrissent eux-mêmes, assez mal par conséquent, couchent sur la paille ou sur des paillasses ; la journée de vendanges va du lever au coucher du soleil, avec trois repos d’une heure chacun ; on travaille même le dimanche, et la pluie seule marque un temps d’arrêt. Les hommes gagnent une centaine de francs pendant ces vendanges qui se prolongent trois semaines et jusqu’à

  1. Le Minervois comprend 51 communes réparties sur les arrondissemens de Narbonne, Saint-Pons et Carcassonne.