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était la condition que les députés et sénateurs du Midi devaient mettre à leur vote approuvant la loi sur les sucres du 28 janvier 1903 ; ils ne le firent pas, par incompétence, par défaut d’union et par peur[1]. Par incompétence, car ils ne se doutèrent en aucune façon des effets économiques de la loi, dont l’application les stupéfia ; par manque d’union, parce qu’ils ne surent pas faire comprendre aux représentans de certaines régions, telles que la Champagne, la Bourgogne, les Hauts Plateaux de la Loire, que le vinage pourrait leur remplacer le sucrage, et que la concurrence des vins de sucre fabriqués sur les lieux de consommation serait bien plus redoutable pour ces régions froides que la concurrence des vins naturels du Midi ; par peur, parce qu’ils n’osèrent priver de leurs voix, sur une question économique, un gouvernement qui avait toute leur sympathie sur le terrain de la politique générale, qui leur accordait toutes les faveurs particulières qu’ils lui demandaient pour eux et pour leurs électeurs, et qui assurait leur réélection. » Et cependant, les avertissemens n’avaient pas manqué : un député, M. Pams, établit le prix de revient du vin artificiel rendu sur le lieu même de consommation, prix terrifiant pour les producteurs de vin naturel : grâce à la détaxe, à l’abaissement du droit, un vin de huit degrés coûterait 6 fr. 80 l’hectolitre, un vin de 7 degrés 5 fr. 93 ! Mais les modernes Cassandres ne sont pas plus écoutées que les anciennes. Admettons que le vin de sucre à dix degrés, fabriqué dans Paris, revienne à 10 ou 11 francs l’hectolitre ; le négociant de Bercy, — la place de Bercy est le régulateur réel du prix des vins du Midi, — ne peut offrir à la propriété un prix supérieur à 10 francs l’hectolitre, 15 à 20 francs rendu à Paris. Cela irait encore pour les propriétaires qui récoltent 140 à 150 hectolitres par hectare, mais la moyenne réelle ne dépasse pas 40 à 50 hectolitres, et la dépense du viticulteur s’élevant à 7, 8, 9, 10, souvent même 13 francs par hectolitre, c’est la ruine presque fatale.

Du moins, lorsqu’il faisait voter la loi de 1903, le gouvernement rendait un signalé service à l’industrie sucrière, et pratiquait la politique du pauvre homme, — car, quoi qu’on puisse dire, le sucre est aujourd’hui un aliment de première nécessité, presque au même titre que le pain et la viande, au même degré

  1. Pierre Genieys, La crise viticole, p. 105 et suiv.