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loi de 1903 qui permet aux vignerons de faire du vin artificiel, en employant 40 kilogrammes de sucre par membre de la famille ou domestique attaché à la personne, et par 30 hectolitres de vendange récoltée. Le contrôle de la régie étant de ce chef à peu près platonique, les fraudeurs ont eu les quatre pieds blancs, ils ont fait voyager le sucre sous le nom de phosphate, doublé et triplé leurs récoltes.

Il faut avoir le courage de confesser la vérité ; les grands fraudeurs, électeurs influens, occupant un personnel nombreux, ont obtenu le concours de leurs élus, et aussi le silence de maints journaux. Et puis on fait d’eux les boucs émissaires des péchés du peuple, d’un état social, et rarement on met en cause leurs complices. Or ceux-ci sont innombrables, et me rappellent la réponse d’un grand seigneur de l’ancien régime à la Reine qui lui reprochait d’avoir dit que toutes les femmes de la cour étaient… sauf trois. « El quelles sont ces trois dames vertueuses ? ajoutait la Reine. — D’abord, Votre Majesté, puis ma femme, et pour la troisième, je demande la permission de ne pas la nommer, parce que les autres me déchireraient. » En réalité, chacun fraude pour son compte, et se montre impitoyable pour la fraude des autres, de même que chacun est protectionniste pour soi, et libre-échangiste pour les produits qui ne le touchent pas. Mais il importe de préciser : frauder devant la loi n’est pas toujours frauder devant la morale, et, à mes yeux, celle-ci n’a pas à condamner le récoltant qui, sans livrer sa cave aux louches manipulations de certains acheteurs, pour sa consommation personnelle double, triple même sa production avec du sucre ajouté aux marcs ; la loi pourra le frapper, l’honneur est sauf. Quand je dis que chacun fraude, cela signifie un tiers des viticulteurs, la moitié des négocians, les quatre cinquièmes des détaillans. C’est le secret de Polichinelle pour les initiés, mais les intéressés se gardent bien de le divulguer aux naïfs consommateurs. Nous avons donc la grande fraude, la moyenne fraude et la petite fraude. Dans un remarquable article de l’Économiste (25 mai 1907) M. Paul Leroy-Beaulieu raconte la conversation d’un inspecteur général des Finances avec M. Pointu-Norez, préfet de l’Hérault, il y a dix-sept ou dix-huit ans : « Monsieur le Préfet, je suis chargé par M. le ministre des Finances de vous faire remarquer qu’il se perd 8 à 10 millions de francs de droits dans votre département, et qu’il faudrait prendre des mesures à cet effet. — Monsieur