Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 47.djvu/443

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

seulement 9 000 hectolitres de vin, à cause des gelées ; mais quels vins ! Ils ont du fruité, ils sont d’un rouge splendide ; avec quelques soutirages et un voyage à Bordeaux, ils constitueraient d’exquis Saint-Émilion. Eh bien, non ! Nous sommes contre les fraudes, comme le Midi, mais contre toutes les fraudes !... » D’ailleurs, la généralité des consommateurs, à Paris et dans le Nord de la France, ignore tout de la question viticole, et fait preuve d’un goût déplorable. Pourvu que le vin qui leur est servi soit parfaitement limpide, supporte convenablement l’eau, et vienne de Bordeaux en droite ligne, ils sont satisfaits. On étonne bien ces consommateurs placides, en leur apprenant que Bordeaux expédie quatre fois plus de vin que la Gironde n’en récolte, et qu’il y a par conséquent 75 pour 100 de chances que le vin qu’ils boivent ne soit pas du bordeaux, mais bien une mixture quelconque. « J’ai vécu plusieurs années dans la Gironde, j’ai connu de près ces grands négocians, ces grands courtiers, ces propriétaires qui forment à cette terre d’élection une sorte de collier précieux, une couronne de gloire et de probité rigide. De même que P.-J. Proudhon se vantait d’avoir trente-six quartiers de paysannerie, elles ont une réputation séculaire de droiture et de succès obtenu par le travail et le respect des traditions. Mais, en Gironde comme ailleurs, le commerce s’est gâté par l’invasion d’une foule d’individus sans crédit, sans principes sévères, et il est devenu incapable de rester le régulateur, le pondérateur du marché, d’atténuer le choc entre l’offre et la demande qui régit le monde viticole, lui aussi : on cultive l’art d’abuser du besoin que quelqu’un a de quelque chose, et cette déchéance partielle a contribué à l’avilissement des prix.

Y a-t-il surproduction ? Non ! clament tout d’une voix les Méridionaux, et il semble bien qu’ils n’aient point tort. M. Paul Leroy-Beaulieu apporte ici des chiffres probans. De 1871 à 1889, les quantités de vins taxées restent inférieures à 30 millions d’hectolitres. En 1896 il a été imposé au droit de circulation en France 33 293 631 hectolitres (chiffres officiels). En 1905 la consommation taxée s’élève à 43 630 960 hectolitres ; en 1906 à 47 136 781 hectolitres. Joignons-y 12 à 13 millions d’hectolitres de consommation en franchise chez les récoltans. La récolte ayant à peine dépassé S2 millions d’hectolitres en 1906, il faut en conclure : d’abord que la production des vins naturels ne dépasse pas la consommation, qu’au contraire elle demeure inférieure